La révélation Jake Bugg
Le premier album du jeune Anglais résonne comme la proclamation d’une grande voix.
dans l’hebdo N° 1242 Acheter ce numéro
Il y a longtemps que nous ne croyons plus aux prétendues révélations qui surgissent régulièrement. Aussi nécessaires aux marchands de musique qu’à ceux qui font commerce d’en parler dans les médias, tous genres confondus. En général, la merveille annoncée se révèle aussi banale qu’ennuyeuse. Il arrive d’ailleurs qu’elle disparaisse aussi vite qu’elle était venue.
Mais toute règle a ses exceptions , et notre scepticisme, uniquement dû à l’expérience, ne demande qu’à voler en éclats devant la classe et le talent d’un nouveau venu. C’est précisément l’effet produit par le premier album de Jake Bugg, ce jeune Anglais de 18 ans qui provoque depuis quelques semaines un engorgement de superlatifs dans les gazettes, y compris dans celles qui s’intéressent généralement de loin à la chose rock. Avec sa frange et son air d’enfant boudeur, Jake Bugg ne laisse aucune chance même aux plus blasés. Encore moins avec sa voix et ses chansons à fendre l’âme. Quatorze exactement, et pas une faiblesse ni la moindre faute de goût. Des chansons qui donnent cette impression surprenante que leur auteur n’a écouté aucun disque enregistré après 1965, mais qu’il connaît parfaitement tous les chanteurs de blues, les chanteurs folks déchirés, les chanteurs country désespérés. Et à peu près tout du rockabilly au merseybeat, cette aube de la pop anglaise, berceau des Beatles. Né Jake Edwin Charles Kennedy, le garçon a, pour la scène, opté pour le nom de son père et laissé de côté les prénoms superflus. Son disque porte simplement son nom. Il s’ouvre sur un rythme rockabilly qui lance les mots de Jake Bugg comme des cailloux sur les pavés de ces rues dans lesquelles il aime se faire photographier, des rues sans soleil et aux briques que l’on devine rouges. Comme les rockers anglais des années 1960. Ou comme un enfant de la classe ouvrière ayant grandi dans une cité de Nottingham. Accompagné d’une guitare acoustique, rejointe parfois par une section rythmique et une seconde guitare, Jake Bugg impressionne d’abord par une voix puissante et profonde. L’avancée dans la découverte du disque en révèle petit à petit l’immensité du spectre et des nuances. D’une noirceur caverneuse et hantée à la lumière pure de certaines envolées en passant par ces moments où, quand le tragique l’emporte, elle se met à nu, se fendille, s’étrangle, arrache les larmes et met parfois l’auditeur à genoux.
Ces nuances sont aussi celles des chansons. Chacune possède une très forte singularité. Toutes sont conçues avec un constant et extraordinaire sens mélodique. Jake Bugg a tout compris de ce qui fait la qualité d’une composition : la simplicité, l’émotion la plus pure née de la sincérité du propos, l’absence de tout effet et de tout bavardage inutile, l’énergie puisée dans la rythmique naturelle des mots, la qualité de la chute. Car il a aussi ce talent de savoir terminer une chanson, et rares sont celles qui atteignent les trois minutes. Ce qui frappe enfin dans ces textes, c’est leur maturité, si l’on considère qu’il en a écrit la plupart alors qu’il avait 15-16 ans. Des chansons qui parlent de la ville et de sa dureté, des matins gris, des mauvais coups et des larmes, de l’amour aussi mais jamais sur un mode assez heureux pour racheter le reste. Avec parfois, néanmoins, des conclusions heureuses, comme l’affirmation conquérante dans « Two Fingers » : « J’en suis sorti vivant/Et je suis là pour rester. » Après un tel disque, c’est ce que l’on peut souhaiter. Autant pour lui que pour nous.
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