Le « Sentier » chinois du XIe
Dans ce quartier parisien, le commerce de proximité s’est raréfié, au profit de grossistes asiatiques. Face aux plaintes, la Ville a réagi.
dans l’hebdo N° 1239 Acheter ce numéro
Quiconque se promène dans le quartier de la mairie du XIe arrondissement de Paris, jadis très « popu » mais aujourd’hui en voie de gentifrication, est tout de suite frappé par la monotonie du décor. Quasiment plus aucune boulangerie, de rares cafés et presque exclusivement des grossistes de prêt-à-porter. Tous chinois ou presque, employant livreurs et hommes de peine, la plupart pakistanais, armés de diables chargés de gros cartons de textiles. Seules quelques banques jouxtent leurs enseignes, aux noms anglophones souvent mal orthographiés.
La légende veut qu’une première famille chinoise de grossistes, surnommés les « Ewing » comme celle de la série télévisée Dallas, se soit installée à la fin des années 1980 et ait fait fortune, bientôt suivie par d’autres compatriotes qui rachetèrent un à un, au cours de la décennie 1990, leurs pas-de-porte aux artisans et commerçants proches de la retraite. Sans que la mairie n’y prenne d’abord garde. Mais, en 2003, le maire chevènementiste du XIe, Georges Sarre, lance une campagne contre cette « mono-activité ». Si les élus évitent de stigmatiser directement l’immigration chinoise, certains riverains n’hésitent pas à dénoncer un nouveau « péril jaune », l’envahissement d’un quartier. Même si le phénomène des mono-activités touche également d’autres quartiers parisiens – sans que les Chinois ne soient en cause. La Ville de Paris décide alors d’intervenir par le biais de sa Société d’économie mixte pour l’aménagement de l’Est parisien (Semaest)… dont Georges Sarre prend la présidence en 2004.
Dans certains quartiers, les importantes sommes en liquide transportées par les Chinois suscitent des interrogations. Est-ce de l’argent sale ? Il peut en effet parfois s’agir de blanchiment, mais cette manie des billets trouve surtout sa source dans des habitudes culturelles et clandestines. En Chine, l’usage du liquide est bien plus important qu’en France, et le recours à la carte bancaire ou au chéquier assez rare. C’est également un effet de la clandestinité, puisqu’il n’est bien sûr pas question pour le travailleur au noir de recevoir un virement sur un compte et une fiche de paie.
Le rachat de commerces, notamment de bars PMU, dont le montant est versé en une seule fois, est tout autant commenté. D’où vient l’argent ? Certains financent l’ouverture de leur commerce grâce au système dit de la « tontine », forme d’emprunt tournant entre plusieurs membres de la communauté. D’autres reçoivent les financements d’investisseurs chinois, qui attendent un retour avec intérêts. Une circulation d’argent souvent officieuse qui alimente l’imagination et les spéculations, fondées ou non, sur les réseaux de blanchiment d’argent.
Toutefois, l’impact de Vital’Quartier paraît in fine assez limité dans ce bout du XIe, à la différence sans doute du quartier voisin autour du square Maurice-Gardette, où sont réapparus les commerces de proximité. Il semble surtout que la mairie et la Semaest aient simplement réussi à interrompre l’extension des grossistes chinois et maintiennent aujourd’hui un statu quo. Dans une certaine discrétion, puisque ni les élus du XIe ni l’association des commerçants chinois n’ont souhaité répondre à nos questions.