Procès à charge au Méliès
Dominique Voynet veut se débarrasser de l’équipe de salariés ayant fait du cinéma de Montreuil un exemple de politique culturelle.
dans l’hebdo N° 1241 Acheter ce numéro
«Non, Stéphane Goudet n’est pas débarqué du cinéma Le Méliès de Montreuil. » Voilà ce qu’on pouvait lire en titre d’un communiqué de la ville administrée par Dominique Voynet (EELV), en date du 25 mai 2012. On attend désormais le communiqué affirmant le contraire, puisque Dominique Voynet, sur le point de parvenir à ses fins, vient d’adresser au directeur artistique du cinéma une lettre de convocation à un entretien d’entente préalable au licenciement pour manquement à l’obligation de devoir de réserve, manquement au devoir de loyauté et non-dénonciation de pratiques comptables irrégulières.
Cette triste situation est le résultat d’une série de coups de boutoir opérés par la première édile montreuilloise. L’avant-dernier a eu lieu au printemps 2012. Stéphane Goudet est alors soupçonné de malmener des salariés du cinéma… dont 14 sur 15 lui apportent immédiatement leur soutien. Du coup, la municipalité est bien obligée de reconnaître que « non, Stéphane Goudet n’est pas débarqué du cinéma Le Méliès… », même si c’est à contrecœur. Au passage, on apprend que Dominique Voynet tient la programmation du directeur artistique pour élitiste – « je n’ose pas dire pour les bobos montreuillois », précise-t-elle ( le Monde du 7 juin 2012), qualifiant par ce bel élan populiste le constant travail d’élargissement des publics réalisé par Stéphane Goudet, dont le cinéma n’a cessé de gagner en affluence avec des films et des animations de grande qualité.
Le dernier épisode s’est ouvert en décembre dernier avec la plainte contre X déposée par Dominique Voynet pour « détournement de fonds publics » au Méliès. Trois salariés, dont Stéphane Goudet, sont suspendus de leurs fonctions. Raison invoquée : l’existence d’une « caisse noire » alimentée par une double billetterie. La municipalité annonce qu’une enquête administrative est diligentée. Les résultats de cette enquête effectuée par la Direction générale des services de la ville, complétés par un rapport de la Direction départementale des finances publiques, viennent d’être rendus publics. La maire de Montreuil en a assuré la médiatisation, notamment lors d’une conférence de presse le 12 février (à laquelle aucun journaliste de Politis n’a été convié). La « synthèse du rapport d’enquête administrative » a fait l’effet d’une petite bombe car elle contient un chiffre explosif : on y lit que « le déficit de recettes du Méliès dû aux irrégularités de gestion […] peut être estimé au minimum à ce jour à 143 000 euros » depuis 2004. Ce chiffre, associé à l’accusation de « détournement de fonds publics », a de quoi nourrir les fantasmes, en particulier d’enrichissement personnel, dont il n’est finalement pas du tout question. Dominique Voynet a elle-même alimenté la rumeur en déclarant dans la presse que « les sommes servaient aussi […] à acheter de la drogue » ( le Monde, 21 janvier). D’une évidente gravité, cette dernière allégation, dénuée de preuves, n’est en rien avérée par l’enquête administrative. « Certains de ces usages, reconnaît la note, ne peuvent être vérifiés par l’enquête administrative. »
L’équipe, en grève depuis le 19 janvier, n’a pas attendu pour réagir et désamorcer les accusations. Le 16 février, une manifestation était organisée, suivie d’une conférence de presse qui s’est transformée en vaste happening, où plusieurs centaines de personnes se sont donné rendez-vous. Des cinéastes (Anspach, Cabrera, Cantet, Guédiguian, Thorn…), des syndicalistes, des politiques et des spectateurs fidèles du Méliès y ont pris la parole. Pour l’équipe, Stéphane Goudet en tête, l’heure était aussi à l’explication de texte. Sur les 143 000 euros incriminés, 77 000 seraient issus, à en croire la ville, de l’absence de comptabilité pour les séances « non commerciales » (scolaires, films sans visa d’exploitation…). Mais ce chiffre repose sur l’estimation arbitraire (puisque décompte, précisément, il n’y a pas) d’une moyenne de 91,2 spectateurs payants. C’est « 3 à 4 fois » supérieur à la réalité, rétorque l’équipe, qui chiffre les recettes non commerciales à moins de 10 000 euros depuis 2004. Cet argent était reversé dans la billetterie commerciale (alimentant ainsi le fonds de soutien du CNC, qui finance la création cinématographique). Aux yeux de la maire, c’est autant de perdu pour la ville. Mais l’équipe rappelle que 45 % de ces recettes reviennent à celle-ci. D’où un « manque à gagner pour Montreuil, si tant est qu’on se place dans cette logique absurde, de quelques milliers d’euros seulement (3 500 exactement) », expliquent les salariés.
Autre préjudice avancé par la ville : les 58 000 euros que représenteraient les entrées exonérées, depuis 2009. Outre que l’équipe du Méliès dénonce là encore un chiffre exagéré, la décision municipale d’interdire désormais toute place exonérée serait une première en France, car aberrante. « Quid des professionnels du CNC ou des autres salles de cinéma que Le Méliès a obligation de laisser entrer gratuitement ?, interrogent les salariés. Des enseignants accompagnant les classes, des accompagnateurs des crèches, écoles et centres de loisirs ? Un budget de 10 % a-t-il été alloué au service enfance pour prendre désormais leurs places de cinéma en charge ? » Restent 8 000 euros (pour que l’addition atteigne 143 000), qui correspondraient à des défauts d’encaissement de séances scolaires. Mais il s’agit en réalité de paiements différés, pratique courante qui permet aux écoles dont la coopérative ne peut payer l’abonnement des classes dès septembre de s’en acquitter au cours de l’année scolaire.
Dans une tribune parue en début de semaine ( Libération du 18 février), Dominique Voynet assure que le projet d’extension du Méliès, lancé par le maire précédent qu’elle-même a combattu, verra le jour « dans quelques mois » – dans un nouveau lieu et avec six salles au lieu de trois. « Le Méliès est et demeurera un “laboratoire de recherche” », écrit-elle, avant d’ajouter que « cela passera par la reconstruction d’une équipe “professionnelle”, forte de son expertise et de sa passion pour le cinéma, et soucieuse des règles de la comptabilité publique ». Le procès à charge lancé contre l’équipe actuelle, notamment contre Stéphane Goudet, ponctué d’arguments grossiers et de méthodes brutales, montre que cette « reconstruction » devait d’abord passer par une destruction. Pas sûr que ce genre d’acte fonde une politique culturelle ambitieuse et sereine.
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