Spanghero : Dérives d’une multinationale
Lur Berri, propriétaire de Spanghero, impliqué dans le scandale de la viande de cheval, est rapidement devenu un géant du secteur grâce à un fonctionnement fondé sur la recherche du profit.
dans l’hebdo N° 1241 Acheter ce numéro
Les dirigeants de Spanghero ont beau s’en défendre, ils devront probablement rendre des comptes devant les tribunaux pour le scandale de la viande de cheval découverte dans les plats surgelés présentés comme étant au bœuf. La justice soupçonne une fraude économique de grande ampleur, à la suite d’investigations menées par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et dont la teneur a été en partie rendue publique, le 14 février, par Benoît Hamon, ministre délégué chargé de la Consommation. « L’enquête de la DGCCRF a révélé un faisceau d’indices graves, précis et concordants qui mettent en évidence la tromperie économique du consommateur », indique une source proche de l’enquête qui souligne que le parquet de Paris cherche à identifier les responsables.
De son côté, après la publication des premiers résultats de l’enquête sanitaire conduite par la brigade vétérinaire du ministère de l’Agriculture, le gouvernement a donné son feu vert à la reprise partielle des activités de transformation de l’entreprise Spanghero. L’agrément sanitaire a été rétabli pour les plats cuisinés, la découpe de viande et la charcuterie, ce qui permet aux 300 salariés de Spanghero de sortir du chômage technique. Mais les activités d’entreposage de matières premières restent, elles, suspendues. Et les investigations vétérinaires, qui se poursuivent, ont montré « que des estampilles sanitaires ont bien été modifiées », a rappelé le ministre de l’Agroalimentaire, Guillaume Garot. Le gouvernement suit avec attention l’évolution de ce dossier qui a suscité une polémique lancée par le dirigeant de Spanghero, Barthélemy Aguerre, accusant le gouvernement de « condamner à mort l’entreprise ». L’UMP a saisi l’occasion et critiqué un « cafouillage » dans la gestion du dossier. « C’est malhonnête de la part de monsieur Aguerre de vouloir opposer le droit des consommateurs à disposer d’informations correctes concernant ses produits et l’emploi des salariés de l’entreprise », a réagi, lundi, une source gouvernementale, après une réunion interministérielle à Bercy.
Le scandale de la viande de cheval dans les surgelés ne concerne pas que les entreprises françaises Comigel et Spanghero. Les fraudes ont touché deux autres filières européennes. En Irlande, McAdams est impliqué dans une tromperie avec de la viande de cheval venant de Pologne, qui se trouve dans les steaks hachés des supermarchés Tesco, Iceland et Lidl. Au Royaume-Uni, les abattoirs Peter Boddy, dans le Yorkshire sont accusés d’avoir envoyé des carcasses de chevaux à l’usine galloise Farmbox Meats, qui les transformaient en steaks hachés et en kebabs. Fin 2012, des fraudes d’ampleur ont été détectées dans d’autres secteurs de l’agroalimentaire. Une opération internationale de lutte contre la vente de produits alimentaires falsifiés a révélé que « 100 tonnes de poissons d’élevage et sauvages ont été commercialisées avec des actes de tromperie sur l’origine et sur les qualités substantielles », « 1,2 tonne de fausses brisures de truffes a été saisie », « 3 007 bouteilles de vins de Bourgogne ont été saisies pour fraude sur l’appellation d’origine et les qualités substantielles », ont indiqué les services de la répression des fraudes.
Arcadie Sud-Ouest et son dirigeant sont impliqués dans l’affaire du corned-beef choletais. En 2008, la coopérative est soupçonnée d’avoir fourni de la viande avariée, et a été mise en examen, avec d’autres sociétés, pour « tromperie sur les qualités substantielles et sur l’origine d’un produit, tromperies aggravées sur les risques pour la santé humaine » et « mise en vente de denrées corrompues ». Arcadie Sud-Ouest est aussi la filiale du fleuron français de l’agroalimentaire, Lur Berri, une coopérative qui a rapidement grossi, notamment en rachetant les foies gras et les saumons Labeyrie, au grand dam des éleveurs locaux. Lesquels ont manifesté lundi à Aïcirits (Pyrénées-Atlantiques), au siège de la coopérative, pour dénoncer la « politique du chiffre » de Lur Berri. En effet, grâce aux récentes opérations financières et à ses opérations de trading, le géant agroalimentaire a dégagé plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2012, et a engrangé 17 millions d’euros de bénéfice net en 2011.
La Confédération paysanne pointe « le gigantisme » de ces coopératives, qui devraient être « des structures collectives où la gouvernance se fait par et pour les paysans sur un territoire. L’échelle humaine est donc indispensable à leur bon fonctionnement et incompatible avec la multiplication de filiales comme c’est le cas chez Lur Berri ». Dans une tribune publiée par le Journal du Pays basque [^2], Alice Leiciagueçahar, conseillère régionale EELV d’Aquitaine, accuse : « Une coopérative agricole n’est-elle pas censée défendre les intérêts des agriculteurs, plutôt que de spéculer sur les cours de la viande en gagnant de l’argent sur le dos des agriculteurs européens ? Est-ce cette politique agricole que nous voulons ? » La coopérative Lur Berri s’est progressivement éloignée des petits producteurs locaux avec lesquels elle travaillait. En acquérant la société Spanghero, Barthélemy Aguerre se donnait « deux ans pour redresser cette affaire » et pour amplifier le passage à des produits transformés prêts pour le consommateur. À marche forcée, quitte à frauder ?
[^2]: Tribune publiée le 12 février dans le Journal du Pays basque.