Tunisie : « Il n’y a pas qu’une explication » au meurtre de Chokri Belaïd

Nina Bontemps-Terry  • 14 février 2013 abonné·es

L’une des animatrices de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, Bahija Ouezini estime qu’il faut attendre les résultats de l’enquête pour se prononcer. Elle revient sur la situation politique et sociale du pays.

L’assassinat de Chokri Belaïd a profondément choqué les Tunisiens. Beaucoup l’imputent à Ennahda.

Bahija Ouezini : Pour certains observateurs, et contrairement à la thèse plébiscitée par les médias, Ennahda n’est pas forcément à l’origine de cet assassinat. Il ne faut pas se limiter à une seule explication. Des groupes de mercenaires circulent qui se vendent aux plus offrants. Il faut attendre les résultats d’une enquête indépendante pour se prononcer.

La position d’Ennahda n’est-elle pas au minimum ambiguë vis-à-vis des violences salafistes ?

Sous l’ancien régime, chaque fois qu’il y a eu un mouvement de contestation, les partisans de Ben Ali ont fait appel à ces mercenaires. Ces derniers ont-ils disparu maintenant que Ben Ali est parti ? Est-ce qu’ils se sont recyclés vers le salafisme ? Difficile de le savoir.

La proposition du Premier ministre de former un nouveau gouvernement de technocrates divise Ennahda. Que pensez-vous de ce projet ?

En proposant cela, le Premier ministre veut se positionner en homme d’État qui dépasse les clivages entre partis. D’où l’idée d’un gouvernement composé de technocrates qui avait déjà été à l’ordre du jour dès le 14 janvier 2011. Le président de la République et le président de l’Assemblée nationale ne l’ont pas rejetée. Mais Rached Ghannouchi, qui s’y oppose, estime qu’il faut attendre les élections pour changer de gouvernement. Sur ce point, la direction d’Ennahda ne semble pas prête à céder. Quoi qu’il en soit, les gens savent que les technocrates ne sont jamais neutres, et les islamistes craignent que cette appellation cache une tentative de les évincer.

Le débat pour la nouvelle constitution avance-t-il ?

Le Premier ministre a demandé à ce qu’une constitution soit rédigée rapidement et que l’instance supérieure pour les élections soit mise en place. Cette position a d’ailleurs été plébiscitée par l’ensemble des partis politiques, même par ses adversaires.

Sur la question des femmes, on est passé par des formulations très inquiétantes, qu’en est-il aujourd’hui ?

C’est vraiment un bras de fer. Dans son programme électoral, Ennahda a affirmé qu’il ne reviendrait pas sur les acquis de la société, mais il y a quand même eu un débat autour du mot « égalité », qui devait être remplacé par « complémentarité ». Ennahda a finalement admis que c’était ridicule. Mais on ne sait pas vraiment si ce recul apparent est stratégique. Ennahda teste l’opinion, histoire de voir jusqu’où elle peut le suivre. Mais jusqu’ici ils ont été contraints de faire machine arrière. D’abord, parce qu’il y a des conventions internationales, mais aussi parce que ces acquis sont enracinés. Les femmes et les hommes y sont profondément attachés.

Une des causes de la montée de la contestation, c’est évidemment la question sociale… Où en est-on ?

La conjoncture économique est mauvaise. Mais, s’agissant du dialogue social, il y a eu en juillet dernier un accord-cadre entre les patrons de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), sous l’égide du ministère des Affaires sociales. Il est d’ailleurs considéré comme un acquis par beaucoup d’observateurs. Mais la crise et le chômage sont là.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »
Vidéo 17 janvier 2025

« Pour Trump, les États-Unis sont souverains car puissants et non du fait du droit international »

Alors que Donald Trump deviendra le 47e président des Etats-Unis le 20 janvier, Bertrand Badie, politiste spécialiste des relations internationales, est l’invité de « La Midinale » pour nous parler des ruptures et des continuités inquiétantes que cela pourrait impliquer pour le monde.
Par Pablo Pillaud-Vivien
Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social
Récit 17 janvier 2025 abonné·es

Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État social

Donald Trump a promis de couper dans les dépenses publiques, voire de supprimer certains ministères. Les conséquences se feront surtout ressentir chez les plus précaires.
Par Edward Maille
Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Analyse 17 janvier 2025

Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
Par Louis Mollier-Sabet
À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire
Reportage 15 janvier 2025 abonné·es

À Hroza, en Ukraine, les survivants tentent de se reconstruire

Que reste-t-il quand un missile fauche 59 personnes d’un petit village réunies pour l’enterrement d’un soldat ? À Hroza, dans l’est de l’Ukraine, les survivants et les proches des victimes tentent de gérer le traumatisme du 5 octobre 2023.
Par Pauline Migevant