Un accord sur l’emploi qui ne passe pas

L’accord national sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi a été transposé dans un projet de loi qui sera présenté le 6 mars. Les députés PS sont divisés. L’analyse de Thierry Lepaon (CGT).

Thierry Brun  • 28 février 2013 abonnés

La conférence sociale lancée en juillet 2012 par Jean-Marc Ayrault a accouché d’une réforme du marché du travail qui provoque une vive contestation. Objet de la grogne, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, issu de cette conférence. Signé le 11 janvier par le patronat, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, l’accord a été transposé dans un projet de loi qui sera transmis à l’Assemblée nationale après sa présentation en conseil des ministres le 6 mars.

La veille de cette présentation, le 5 mars, une mobilisation nationale est prévue à l’appel de la CGT et de FO, les deux confédérations non-signataires, en vue de freiner l’élan du gouvernement, lequel semble prêt à aller très loin pour satisfaire les organisations signataires, en particulier le Medef. Pour Matignon, le texte obtenu après plus de trois mois de négociations est considéré comme « le plus important depuis plus de trente ans ». Il « contribue à répondre à cette exigence : compétitivité économique, compétitivité sociale, efficacité économique et solidarité vont de pair », a affirmé Jean-Marc Ayrault. Exposé aux partenaires sociaux à la mi-février, l’avant-projet de loi, qui a transposé « fidèlement » et « sans délai » l’accord national à la demande de François Hollande, a suscité la colère de la CGT et de FO, qui ont été rejoints par d’autres syndicats (FSU, Solidaires, CNT) ainsi que par des organisations associatives et politiques (PCF, PG, NPA). Le texte est le « fruit de tractations entre le ministère du Travail et les signataires », dénonce la CGT.

« Nous avions trois textes fondamentaux pendant la négociation : le discours de François Hollande à la conférence sociale du 8 juillet, le discours de Jean-Marc Ayrault, en clôture de cette conférence, et la lettre de cadrage de Michel Sapin  [ministre du Travail.   NDLR]. Quand on regarde ce que cela a produit le 11 janvier, c’est en complet décalage avec les orientations qui ont été fixées. Si j’avais été enseignant, j’aurais mis en rouge : hors sujet ! », affirme Thierry Lepaon, qui succédera à Bernard Thibault lors du prochain congrès de la CGT, prévu à Toulouse du 18 au 23 mars, avant que ne commencent les débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi. Le gouvernement « reprend à son compte les dispositions les plus régressives » de l’accord du 11 janvier, quitte « à violer les textes internationaux, alors que des voix venant d’horizons divers l’ont alerté sur ce problème », pointe la CGT. « Dans plusieurs régions, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, les conseillers prud’homaux et les cabinets d’expertise ont examiné en détail l’accord et sa transposition dans la loi. Ils sont inquiets et se mobilisent pour qu’il ne soit pas transcrit en l’état », explique Thierry Lepaon. En cause, les accords de maintien dans l’emploi, semblables aux accords de compétitivité-emploi souhaités par Sarkozy, et les accords dits de « mobilité interne ». Ils pourraient imposer à un salarié un changement du lieu de son emploi, une baisse de salaire ou une augmentation du temps de travail en échange du maintien de l’emploi. Surtout, ils permettraient de licencier les salariés refusant une baisse de salaire (voir ci-contre l’entretien avec Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO).

**« Pour l’instant, le projet de loi* est la reprise conforme de l’accord du 11 janvier,* s’inquiète Thierry Lepaon. Et si l’on entend aboyer le Medef et les signataires, c’est parce qu’ils ont simplement l’ambition de considérer que les parlementaires n’ont qu’un rôle de transcription de l’accord dans la loi. Nous, nous avons une autre vision des parlementaires. Nous pensons que c’est à eux de faire la loi et pas au Medef. » Le message a été transmis aux députés du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, qui ont auditionné les syndicats et apparaissent divisés. Le député socialiste Jérôme Guedj a constaté « le trouble de ses collègues » lors de l’audition, le 20 février, de Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT. Le député de l’aile gauche du PS a plaidé pour « prendre le temps de regarder les conséquences de l’accord, dont Jean-Claude Mailly et Bernard Thibault disent qu’il va entraîner des régressions », et se dit favorable à des « amendements un peu significatifs ». Comme les syndicats non-signataires, certains députés du PS comptent sur le Conseil d’État pour censurer certaines dispositions du projet de loi. De son côté, Thierry Lepaon prévient : « Je ne souhaite pas que la CGT saisisse les tribunaux internationaux pour dire que notre pays a sorti une loi qui est contraire à l’Organisation internationale du travail. Cela ferait un peu désordre. Mais si on ne peut pas éviter cette situation, on les saisira. » Les parlementaires de gauche ont encore quelques semaines devant eux pour revoir profondément la réforme du marché du travail, ou exprimer leur opposition. T. B.

Temps de lecture : 4 minutes