Benoît Hamon : « Un droit nouveau pour les salariés » 

Un projet de loi-cadre destiné au développement de l’économie sociale et solidaire est en préparation. Ministre dédié à ce secteur, Benoît Hamon, en présente ici pour la première fois les grandes lignes.

Thierry Brun  • 14 mars 2013 abonné·es
Benoît Hamon : « Un droit nouveau pour les salariés » 

C’est la première fois qu’un ministère est en charge de l’économie sociale et solidaire, un secteur qui représente près de 10 % de l’emploi salarié. Autre nouveauté gouvernementale, Benoît Hamon, ministre délégué qui a en charge cette économie au service des citoyens, est installé à Bercy, là où les grandes décisions économiques du quinquennat sont prises. Il détaille ici le contenu de la future loi-cadre concernant les coopératives, les mutuelles, les associations et les fondations, ainsi que les initiatives répondant aux principes d’une économie sociale et solidaire.

Quand le projet de loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire (ESS) sera-t-il présenté ? S’agit-il de ne plus concevoir cette économie comme une niche ?

Benoît Hamon : Le projet de loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire sera probablement présenté en Conseil des ministres dans le courant du mois de juin. Il sera examiné en session extraordinaire en septembre. La loi a deux objectifs : la reconnaissance de l’ESS comme un pan légitime et incontestable de l’économie française et, en même temps, sa banalisation par une forme d’intégration au droit commun. Notre objectif est de ne plus devoir faire la démonstration ou la preuve de la performance de ce modèle, de sa résilience à la crise et de sa capacité à créer des emplois pour justifier l’accès à des dispositifs comme la Banque publique d’investissement (BPI). C’est aussi une des raisons pour lesquelles je souhaite signer avec Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, une convention sur l’enseignement de l’ESS. Au lycée, les élèves apprendront ainsi la biodiversité de l’économie, à laquelle contribuent les entreprises de l’ESS. Dans le cas de l’enseignement agricole, on n’enseigne plus les principes de la coopérative aux jeunes lycéens. Or, que serait la France agricole sans les coopératives ? Le projet de loi vise aussi à définir un périmètre que j’ai souhaité inclusif. Il y a certes les acteurs historiques : les associations, les fondations, les mutuelles et les coopératives. Nous proposerons au Parlement que le périmètre soit élargi aux entreprises créées sous la forme de SA et de SARL qui décident de s’approprier les principes de l’ESS sans avoir le statut d’une mutuelle ou celui d’une association. Nous voulons que ces acteurs adoptant des principes de gouvernance démocratique et de mise en réserve impartageable d’une partie des profits, poursuivant un but autre que celui du partage des bénéfices, etc. soient reconnus comme des acteurs de l’ESS.

Comment la loi réglera-t-elle la question du périmètre de l’ESS éligible à du financement ? Y aura-t-il une labellisation ?

Le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) est souvent occulté par la pensée politique. Pourtant, il semble le modèle le mieux partagé à gauche. Ainsi, le PS, Europe Écologie-Les Verts et le Front de gauche ont en commun d’avoir intégré « l’autre économie » dans leur programme pour l’élection présidentielle de 2012, certes avec des projets différents. Et l’éphémère secrétariat d’État à l’Économie solidaire (2001-2002) a été créé sous un gouvernement de gauche plurielle. L’ESS rassemble des pratiques qui concilient utilité sociale, non-lucrativité, activité économique et gouvernance démocratique. Elle est constituée d’associations, de coopératives, de mutuelles et de fondations qui emploient plus de 2,35 millions de salariés, et représente 10 % du PIB. L’ESS se définit aussi par ses principes : finalité de services aux membres ou à la collectivité, autonomie de gestion, primauté du travail sur le capital dans la répartition des revenus.

Mais ce secteur est un ensemble hétérogène. L’ESS rassemble aussi bien de puissantes coopératives de l’industrie agroalimentaire que des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, qui critiquent les dérives des premières et encouragent une agriculture biologique.

Outil de moralisation du capitalisme, alternative au néolibéralisme, instrument de transformation écologique de l’économie, l’ESS est tout cela à la fois.

Il existe déjà un agrément d’entreprise solidaire. On va le muscler de façon à ce que les entreprises qui ont cet agrément puissent obtenir des contreparties en termes d’accès à l’épargne solidaire, aux marchés publics, aux clauses sociales et aux clauses d’insertion. L’objectif est de développer une stratégie d’achats responsables dans le cadre de la commande publique. Nous considérons aujourd’hui que l’entrepreneuriat social est une forme d’entreprendre dynamique et performante, qui, de surcroît, nous permet de démontrer que la performance économique n’est pas du tout opposée à l’utilité sociale. Ces entreprises montrent tous les jours que la valorisation de l’outil de production, la gouvernance démocratique, l’affirmation que le but de l’entreprise n’est pas seulement de réaliser des profits et de rémunérer le capital de celui qui a investi peuvent être conciliées avec la performance économique dans un environnement concurrentiel. La loi encadrera précisément les conditions de rémunération des actionnaires d’une SA ou d’une SARL voulant appartenir au monde de l’ESS et avoir accès aux financements de la BPI dédiés à l’ESS. Nous réfléchissons au principe d’une déclaration, avec une révision régulière du bon respect des engagements pris par les entreprises qui se déclareront sociales et solidaires. Celles-ci feront l’objet de contrôles permettant de vérifier si oui ou non elles respectent les grands principes de l’ESS.

La loi favorisera-t-elle la reprise d’entreprise en coopérative ou en entreprise sociale et solidaire ?

Notre objectif est de ne plus laisser en l’état cette situation qui fait que des dizaines de milliers d’emplois disparaissent parce que les entreprises n’ont pas trouvé de repreneur. Dans la situation où le cédant est confronté à la nécessité de trouver un repreneur, le projet de loi contiendra un droit préférentiel pour les salariés. Ils pourront disposer de l’information sur leur entreprise et bénéficieront du temps nécessaire à la formulation d’une offre. Si, dans le passé, ce droit avait existé, des dizaines d’entreprises auraient été reprises par leurs cadres ou leurs salariés sous la forme d’une SA ou d’une coopérative. Dans le cas de deux offres équivalentes, les salariés seront-ils prioritaires ? Il faut d’abord définir ce que sont des offres équivalentes : se jugent-elles sur le nombre d’emplois créés, sur les investissements en capital, sur l’ancrage territorial ? Nous expertisons différentes solutions en tenant compte du droit de propriété et de la liberté de commerce, protégés par la Constitution. Je veux un droit nouveau, efficace pour les salariés et l’emploi, et qui ne soit pas, à peine voté, annulé par le Conseil constitutionnel.

Comment faciliter la reprise d’entreprise en coopérative ?

La reprise en coopérative nécessite une mise de départ qui peut paraître dissuasive. Les conditions réglementaires et législatives pour créer une société coopérative et participative (Scop) sont parfois difficiles. Nous souhaitons créer un nouveau statut de coopérative qui sera une Scop d’amorçage, permettant aux salariés d’être minoritaires au capital mais majoritaires en droits de vote dès la création de la coopérative. Cette situation transitoire durera cinq à dix ans, le temps pour les salariés d’affecter les gains de l’entreprise à l’augmentation de leurs parts. Un investisseur tiers pourra accompagner la création de la Scop et les salariés pourront avoir accès à des dispositifs destinés à la création d’entreprises, notamment le nouvel accompagnement pour la création et la reprise d’entreprise (Nacre). Nous discutons aussi avec les partenaires sociaux de l’indemnisation du licenciement pour qu’elle puisse être mobilisée comme un capital utile à la reprise d’entreprise. On veut ainsi créer l’écosystème qui permettra la transmission d’activité.

Comment comptez-vous faire sortir l’ESS de ses problèmes de financement ?

Je souhaite que la BPI et les banques privées, qui ont à gérer une partie de l’épargne réglementée des Français, dont la mission est de financer le développement des entreprises, puissent rendre compte du nombre de projets ESS qu’elles ont retenus. Le président de la République s’est engagé à consacrer 500 millions d’euros de la BPI au financement de l’ESS. Ce que je ne veux surtout pas, c’est qu’on m’explique qu’à la fin, en dépit du nombre de projets déposés, l’alambic était tellement compliqué qu’on n’a réussi à financer que peu de projets… Il faut sanctuariser ces 500 millions et dire qu’ils ne seront pas soumis aux règles d’évaluation de la performance habituellement exigées par la BPI. L’argent investi dans l’ESS est un capital patient, tempérant. La BPI doit accepter que l’investissement qu’elle va réaliser dans l’ESS ne lui rapporte pas un rendement équivalent à ce qu’elle peut attendre du financement d’une start-up créée dans un secteur ultra-concurrentiel.

Les têtes de réseaux associatives demandent un renforcement des subventions. Cela fait-il partie de votre réflexion dans le cadre de la future loi ?

Beaucoup de collectivités publiques s’en remettent aux appels d’offres alors qu’elles ont le droit d’accorder des subventions. La conséquence est que la mise en concurrence systématique des acteurs associatifs a tari l’initiative. Une initiative associative peut-elle encore être financée par la subvention ? La réponse est oui. Et nous allons sécuriser sur le plan juridique les associations ainsi que ceux qui accordent les subventions. En outre, quand il y a des appels d’offres dans le cadre de marchés publics, il faut accroître la place des clauses sociales et d’insertion. Seuls 1,3 % des marchés publics passés par l’État ont de telles clauses. François Fillon avait fixé un objectif de 10 %. Dans ce domaine, comme dans d’autres, il était croyant mais pas pratiquant… Nous avons pourtant des dispositions dans les marchés publics qui doivent amener les donneurs d’ordres à favoriser les acteurs de l’insertion par l’activité économique, à les aider à répondre aux projets, à disposer de l’ingénierie, de l’accompagnement et des aidants pour pouvoir le faire, mais cela relève plus du Meccano politique que de la loi.

Qu’est-il prévu en matière d’égalité femmes-hommes pour l’ESS ?

L’ESS a la chance de bénéficier d’une forme de reconnaissance, encore faut-il qu’elle donne des preuves d’engagement dans l’égalité professionnelle. C’est la raison pour laquelle, en lien avec le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, je réfléchis à l’écriture d’une charte élaborée par les acteurs du Conseil, qui porterait sur l’égalité professionnelle femmes-hommes, une échelle des salaires raisonnable, la réduction de l’emploi précaire, etc. pour que l’ESS montre la voie. Car l’économie sociale et solidaire, ce n’est pas un concept marketing, ce doit être aussi l’ambition de promouvoir le progrès social dans l’entreprise.

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