Dans le bourbier italien

Le 23 mars, le chantier du TGV Lyon-Turin ouvrait ses portes à des élus italiens ainsi qu’à quelques militants français.

Thierry Brun  • 28 mars 2013 abonné·es

La commune de Chiomonte, petite station de ski de la haute vallée de Suse, située à une soixantaine de kilomètre de Turin, est désormais célèbre des deux côtés des Alpes. C’est ici en effet que le mouvement italien No-TAV (Treno ad alta velocità) organise depuis 2011 la contestation au projet pharaonique de liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin, la nouvelle ligne destinée au trafic de marchandises et de voyageurs, jugée néfaste pour l’environnement et d’un coût exorbitant. C’est au lieu-dit La Maddalena, entre le torrent Clarea et les routes de l’Avanà et des Gallie, que se trouve le chantier côté italien de la société Lyon-Turin ferroviaire (LTF). Ce samedi 23 mars au matin, avant de participer à 14 h à la manifestation entre Suse et Bussoleno, une centaine de députés et de sénateurs du Mouvement 5 étoiles (M5S) et de Gauche, écologie et liberté (SEL), se rendent sur place. Élus en février, ils sont pour la plupart des No-TAV et participent, depuis près de vingt ans pour certains, aux multiples actions contre le projet « inutile ».

« Les élections ont montré que le mouvement No-TAV est un large mouvement populaire et que les choses ont déjà changé. Habituellement, lorsque les No-TAV approchent du chantier, ils sont reçus par les matraques et les militaires. Ce matin, ils sont officiellement invités à le visiter », explique Daniel Ibanez, l’un des membres de la coordination française des opposants au Lyon-Turin qui a accompagné les élus italiens. Les cars, qui ont emprunté une petite route à flanc de montagne, doivent cependant franchir plusieurs postes de contrôle installés par l’armée et les carabiniers, retranchés derrière des barrières de sécurité grillagées. « La Maddalena est aussi réputée pour son site archéologique, une nécropole datant du néolithique, qui a été détruite par des bulldozers », racontent des élus de la communauté de montagne de la vallée de Suse. « C’est au niveau du musée archéologique qu’on avait installé en 2011 notre camp de protestation avec tentes et cantine, que l’on avait nommé la “libre république de La Maddalena”, se souvient Paolo Prieri, l’un des coordinateurs de No-TAV. La police est entrée en force dans notre camp alors que le terrain avait été loué à la mairie de Chiomonte. On a été violemment dégagés. » Depuis, le site archéologique et le chantier ont été transformés en une zone militaire ceinturée de murs que surplombent des caméras de vidéosurveillance. « Dans les premiers mois, la sécurisation du chantier a, paraît-il, largement dépassé le coût des travaux alors accomplis », commente Paolo Prieri.

Ce samedi, les forces de l’ordre ouvrent donc pour la première fois les grilles du chantier à des élus qui arborent l’emblématique autocollant « No-TAV ». « Les partisans du projet de TGV martèlent depuis le début de notre mobilisation que nous sommes une minorité. Aujourd’hui, on voit bien que nous nous rapprochons beaucoup plus d’une majorité », se félicite le sénateur M5S Marco Scibona, originaire de la vallée et militant du mouvement No-Tav. Le jeune élu observe l’état des travaux et se renseigne sur la galerie de reconnaissance, prévue sur au moins 7 kilomètres, qui doit servir au futur tunnel franco-italien devant atteindre 58 kilomètres au total. Dès le lendemain de son élection, en février, Marco Scibona a proposé de créer une commission d’enquête parlementaire sur le projet de nouvelle ligne, avec pour objectif premier d’en examiner le coût et l’efficacité. « Le Mouvement 5 étoiles a également préparé un projet de loi demandant l’annulation de l’accord franco-italien de janvier 2001 actant la réalisation de la nouvelle ligne Turin-Lyon », ajoute Alberto Perino, un des animateurs historiques du mouvement No-TAV en Italie, qui a bravé le mauvais temps pour venir commenter l’état du chantier devant la presse italienne. Stefano Bertone, l’un des avocats du mouvement acquiesce : « Rien ne s’oppose à cette annulation, contrairement à ce que dit Mario Virano, commissaire extraordinaire du gouvernement italien chargé du Lyon-Turin. »

Marina Clerico, une des chercheurs de l’école polytechnique de Turin présents sur le chantier, membre d’une commission de la communauté de montagne de la vallée de Suse, qui n’avait jusqu’à présent pas accès au chantier, ajoute que « le tribunal administratif de Rome doit aussi statuer sur un recours en annulation à la suite d’une plainte de la communauté de montagne de la vallée de Suse ». Elle attire l’attention sur la galerie de reconnaissance : « Il y a à peine une trentaine de mètres ! Ils n’utilisent pas de tunnelier ni d’explosif parce qu’il n’y a pas encore de roche. On peut constater que les travaux n’avancent pas, alors qu’en France, une des trois galeries de reconnaissance, que j’ai visitée, est bien achevée. » Daniel Ibanez souligne que « les trente mètres ont été creusés depuis le démarrage du chantier, il y a quatre mois. Le mensonge est qu’ils ont annoncé plus d’une cinquantaine de mètres déjà creusés et qu’un appel d’offres public lancé fin 2012 est passé de 250 à 500 millions ». Députés, sénateurs et militants No-TAV franco-italiens précisent aussi que le chantier de la ligne à grande vitesse de Florence a été récemment stoppé par la justice italienne pour de probables faits de corruption et de détournements en lien avec la mafia. Or, « la construction de la galerie de reconnaissance de la Maddalena a été confiée sans nouvel appel d’offres à une société italienne du nom de CMC, qui devait réaliser une galerie à Venaus en 2004, abandonnée depuis. La société Lyon Turin ferroviaire a considéré qu’ici c’était une “variante de la galerie de Venaus”. C’est illégal ! », explique Marina Clerico. Et les associations anticorruption Anticor et Flare ont alerté la Cour des comptes française de la condamnation à huit mois et un an de prison en première instance de deux dirigeants de Lyon Turin ferroviaire pour des trucages d’appel d’offres [^2].

Le chantier de La Maddalena serait-il en sursis ? Les opposants franco-italiens estiment que le projet repose sur des « prévisions fantaisistes » et exigent que « les marchandises soient transportées sur la ligne existante, qui peut remplacer dès maintenant au moins 800 000 camions », et que « l’argent soit utilisé pour moderniser le fret ferroviaire par la motorisation des wagons ». Les militants No-TAV ne manquent pas d’arguments techniques et d’expertises : un livret contenant « 150 raisons contre le Lyon-Turin » était distribué dans les cars, sur la route conduisant à La Maddalena.

[^2]: Lire www.politis.fr/Questions-autour-de-la-gestion-du,20454.html

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes

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