Une augmentation de 4 à 7 % des risques de cancers estimés par rapport à la « normale » pour les personnes exposées au stade nourrisson… et jusqu’à 70 % chez les filles pour les cancers de la thyroïde, glande très sensible aux rayonnements chez les enfants. Voici le principal enseignement de la première prospective officielle, issue de l’Organisation mondiale de la santé ^2, sur l’impact sanitaire de l’irradiation des personnes qui vivaient à proximité de la centrale de Fukushima.
À Fukushima, on croise les doigts pour qu’aucun séisme sérieux ne frappe à nouveau dans les deux ans à venir : c’est le délai prévu pour l’évacuation des 1 331 barres de combustible de la piscine de stockage du réacteur n° 4, à l’aide d’une structure (en cours de construction) surplombant la piscine. « Un calendrier crédible », selon Thierry Charles, directeur de la sûreté des usines à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui assiste les équipes japonaises. Le bâtiment, très endommagé, a été renforcé tant bien que mal. Mais tiendraitil, s’angoissent les experts ?
Un effondrement provoquerait
une contamination radioactive
cataclysmique.
Le démantèlement total de
la centrale pourrait prendre
quarante ans. L’état exact des
trois coeurs qui ont fondu ne
devrait pas être connu avant une
décennie. D’ici là, il faudra les
refroidir en permanence par un
circuit extérieur bricolé après
la catastrophe et qui semble
satisfaisant. Une incertitude
perdure : quelle est l’importance
des infiltrations radioactives dans
le sol ? Une dizaine de forages
pompent la nappe près de la
centrale, dans l’espoir de limiter
le lessivage vers la mer des boues
contaminées qui stagnent dans les
parties basses de la centrale.
Après la catastrophe du 11 mars 2011, des nuages de particules radioactives ont contaminé un territoire grand comme le Luxembourg, et à des niveaux parfois proches de ceux que l’on mesure dans la zone interdite de Tchernobyl. Dans les zones moins touchées, le surcroît de risque serait deux fois moindre. Et pour les populations extérieures (touchées par les vents et consommatrices accidentelles d’aliments radioactifs), il n’y aurait pas, selon l’OMS, d’augmentation de prévalence des cancers à attendre. Deux ans après l’accident majeur, ce rapport ne laisse pas indifférent. Les autorités japonaises, qui minimisent les conséquences sanitaires depuis deux ans, contestent la méthode d’évaluation et ses conclusions. Elles ont toujours argué que les évacuations (160 000 personnes) ont permis de maintenir les niveaux d’exposition à des seuils qui ne permettraient pas de déceler des augmentations significatives de pathologies. Les publications de l’OMS en matière de risques pour la santé liés au nucléaire sont pourtant notoirement conservatrices [^3] – elles sont soumises à l’aval de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), rappelle l’association Greenpeace ! L’agence onusienne tempère d’ailleurs l’interprétation du très fort taux d’accroissement des cancers de la thyroïde attendus chez les jeunes femmes : le risque normal est de 0,75 %, il passerait à 1,25 %. Greenpeace, citant l’experte allemande Oda Becker, juge à l’opposé des autorités japonaises. L’association déclare que le rapport sous-estime
« honteusement » l’impact des premiers jours d’exposition dans la zone d’exclusion de vingt kilomètres autour de la centrale, un périmètre que certaines personnes n’ont pas pu quitter assez vite. Le désaccord réside dans la manière de considérer l’impact d’une exposition à de faibles doses et à longue durée (consommation d’aliments contaminés, réinstallation dans des zones peu touchées, etc.). La doctrine sanitaire officielle la considère comme négligeable.
Les polémiques, qui ont démarré dès le lendemain de la catastrophe, perdureront des années. Les autorités se montrent incapables d’assurer un suivi rigoureux à long terme des dizaines de milliers de personnes concernées, et n’ont jamais démontré la volonté de le faire. L’OMS insiste pourtant sur la nécessité d’assurer une surveillance sanitaire « pendant des décennies », mais aussi de contrôler « en continu » l’eau et les aliments. Quand aux impacts sur la santé mentale et l’équilibre psychologique, « ils seront certainement très élevés », reconnaissait Maria Neira, directrice santé publique et environnement de l’agence, lors de la présentation du rapport à Genève le 28 février. Curieusement, ces dommages sanitaires majeurs n’ont été qu’évoqués. Une évaluation quantitative en règle aurait peut-être été trop explosive…
[^2]: www.who.int/fr
[^3]: Son bilan officiel de la catastrophe de Tchernobyl est toujours controversé pour sa grande modération. Samedi 9 mars à 13 h 30, le monde associatif organise une chaîne humaine antinucléaire à Paris. http://chainehumaine.org/