Gastronomie : Brinquebale gourmande
Jacky Durand signe un recueil de chroniques faisant la part belle aux produits et aux rencontres.
dans l’hebdo N° 1246 Acheter ce numéro
L’auteur ne pouvait pas mieux coller à l’actualité. En enfonçant d’abord des portes ouvertes, poussant des évidences, certes, mais toujours bonnes à rappeler : « Se mettre aux fourneaux en suivant le fil des saisons, c’est aussi embrasser l’encyclopédie du règne végétal et animal et donc préserver notre diversité alimentaire. […] Écouter la petite musique des mois au jardin et au marché n’est pas seulement bon pour la planète, c’est aussi une façon de ré-étalonner son quotidien dans la marche naturelle du temps. À l’ère du micro-ondes, du congélateur et du prêt-à-manger, la démarche peut paraître anecdotique, voire surannée. Mais elle peut se révéler salutaire à l’heure de la massification des clics et des flux qui chamboulent notre rapport au temps et à l’espace. »
Passé ce préambule, Jacky Durand, journaliste à Libération (où il tient la rubrique « Tu mitonnes ! », le vendredi), décline une ba(l)lade gourmande à travers une France, une promenade culinaire à coups de chroniques où le verbe troussé parfaitement livre des impressions de fragrances sur papier. Ici une virée à Dieppe, où l’on vend soles et orphies au cul des bateaux, une autre en Champagne, avec ses coteaux pentus enracinés dans l’argile et le calcaire, là encore la quête d’une terrine Rimbaud dans l’entrelacs des rues de Charleville-Mézières. À chaque escale sa recette. Carrelet au cidre, soupe de lentilles, cake au bleu du Vercors, jarret de veau braisé au citron confit et aux légumes nouveaux, œuf cocotte au haddock, chaud-froid de mirabelles…
Surtout, Jacky Durand propose un hymne au plaisir de « courir les pâtures et débusquer les premiers pissenlits qui tutoieront l’œuf poché et les lardons », un hymne où la lentille verte du Puy se veut « l’aliment d’une vie », où le pâté de foie joue les plus belles joutes charcutières. Mais pas de produit sans producteur, sans mitonneur aux aguets. Chaque étape s’accompagne aussi d’une rencontre. Une vigneronne fin cordon-bleu qui ragougnasse la langue de bœuf, un petit couple discret amateur de saucisson brioché, des zigues au bistrot qui refont le monde, une amante qui demande son poids de sardines. Une galerie de portraits inscrits dans la ponctuation du temps qui passe, au diapason de la cuisine, véritable « métrique de nos souvenirs et de nos rites ».