Gens du « Monde » et « bosse » des « bosses »
dans l’hebdo N° 1243 Acheter ce numéro
L’autre soir, le quotidien le Monde (daté du 2 mars) publie dans ses pages dédiées aux actualités françousques un entretien avec la boss e des bosses hexagonaux – Laurence Parisot, donc [^2]. Les gens du Monde se sont mis à trois (et en quatre, comme t’auras probablement deviné si tu les connais un peu) pour recueillir la parole de cette excellente femme, et son avis sur la vie : ils souhaitent, par exemple, qu’elle leur donne son point de vue sur la prochaine réforme des retraites (où les « socialistes » dont nous subissons depuis mai dernier l’horrible emprise vont faire pis que la droite, car telle est, nous le savons, leur nature profonde).
Et quel est ce point de vue ? Ce point de vue est qu’il faudra sans doute – déclare posément la timonière du Medef – « relever l’âge légal » de la retraite à… 67 ans [^3]. Et là, oyant cela, les gens du Monde lui demandent – je te jure que je n’invente rien : « Mais n’y a-t-il pas des solutions plus justes, comme la prolongation de la durée de cotisation ou la désindexation des pensions ? » Mais la désindexation, c’est quoi, exactement ? C’est la manœuvre, excessivement sournoise (disons comme ça pour ne fâcher personne), qui consiste à geler le montant des pensions versées aux retraité(e)s, plutôt que de l’augmenter en même temps que le prix de la demi-baguette ou du paquet de nouilles [^4]. De sorte qu’au bout de quelque temps, fatalement, les pensionné(e)s devront limiter leur consommation de pain et de pâtes. (Ça leur apprendra, à ces sybarites.)
Et quant à l’allongement de la durée de cotisation, il équivaut évidemment (comme peut très facilement le comprendre n’importe quel enfant d’un an dont la lecture de la presse quotidienne dominante n’a pas encore subverti l’intelligence) à un relèvement (comme dirait mâme Parisot) de l’âge de départ à la retraite. Et donc : les préconisations que les gens du Monde présentent sans rire comme plus justes que celle de leur interlocutrice patronale sont, en réalité, au moins aussi dégueulasses – en même temps qu’incontestablement plus hypocrites, me diras-tu, et je n’en disconviendrai pas – mais c’est qu’aussi l’art de berner le lectorat exige des fois des aptitudes à la faux-dercherie.
[^2]: Un jour, la chefferie de cette publication cessera de flatter le patronat. C’est inévitable. Mais nous devons nous préparer à l’idée que plusieurs millions d’années s’écouleront avant que cela n’arrive – car il est horriblement difficile, pour les journaleux dominants, de se défaire de certaines addictions.
[^3]: C’est du style : courage, les pauvres, il y a une vie de merde après votre vie de merde. Et quand vous vous serez tué(e)s au trimard, vous aurez – enfin – le droit de continuer. Et toi, quand tu lis ça, évidemment, ça te donne des frissons d’épouvante. Parce que tu es plus normalement constitué(e) – si, si, je t’assure – que les ressortissant(e)s des coteries où le patronat et la presse s’entrelèchent frénétiquement depuis (au moins) trois décennies. Mais ne te méprends pas, je te prie : l’âge légal de la retraite sera effectivement relevé. Et ça ne sera qu’un début.
[^4]: Je schématise, mais pas trop.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.