Goodyear : la piste coopérative
Majoritaire sur le site d’Amiens-Nord, la CGT a dévoilé un projet de Scop pour sauver une partie de la production de pneus. Et mène plusieurs procédures judiciaires contre la direction.
dans l’hebdo N° 1243 Acheter ce numéro
Le site de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, qui emploie 1 173 salariés, est au cœur d’un nouveau rebondissement après le retentissant retrait de l’américain Titan International, lequel devait reprendre une partie de l’activité. La CGT, ultra-majoritaire dans l’usine, a créé la surprise en présentant un projet de coopérative (Scop), alors que la direction de Goodyear envisage de fermer l’ensemble du site. « Un coup dur pour le bassin d’emploi, déjà sinistré », accuse Majid Boubeker, représentant syndical SUD de l’usine.
La proposition de créer une société coopérative et participative a été annoncée le 26 février devant quelque 200 salariés rassemblés sur le parking de l’usine de production de pneus pour voitures de tourisme et engins agricoles. La nouvelle a pris tout le monde de court. « Il n’y a pas eu de discussion avec les salariés. La CGT propose cette solution uniquement pour contrer le projet de fermeture de la direction », réagit Majid Boubeker. La CFE-CGC, troisième syndicat du site, parle d’un « projet illusoire » qui « trompe les salariés ». De son côté, la direction s’est empressée d’indiquer qu’elle attendait de voir le dossier pour se prononcer. « Nous avons travaillé à la possibilité de créer une Scop pour réaliser exactement le même projet que celui qui devait être mis en œuvre par Titan », rétorque Fiodor Rilov, avocat de la CGT. « L’activité de pneus agraires est parmi les plus rentables pour Goodyear, qui fait des profits colossaux », ajoute l’avocat, estimant que la coopérative pourrait ainsi sauver 800 emplois, contre 530 dans le projet avorté de Titan International. Loin d’être improvisé, le dossier est à l’étude depuis plusieurs semaines et « les pourparlers sont en cours », concède l’Union régionale des Scop du Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Selon la CGT, la future Scop vise un chiffre d’affaires de près de 450 millions d’euros en 2014 avec la seule activité de pneus pour les engins agricoles. Le syndicat a aussi évalué les bénéfices : pas moins de 370 millions d’euros dès 2014, selon des calculs réalisés par des experts, qui ne prennent pas en compte les ristournes accordées par Goodyear.
Mickaël Wamen, délégué syndical CGT de l’usine, a indiqué qu’une réunion se tiendrait après le comité central d’entreprise du 7 mars pour détailler le démarrage de la Scop, lequel nécessiterait 20 à 25 millions d’euros. Mais le temps presse. « La direction n’a jamais été aussi engagée dans la fermeture du site », confie Majid Boubeker, opposé au projet de coopérative. « On préfère défendre une solution Goodyear. On n’accepte pas le choix du transfert de services et de volume de production vers l’usine Dunlop d’Amiens-Sud. On a aussi refusé l’accord de compétitivité et les 4×8 mis en place chez Dunlop, dont les conséquences sont dévastatrices. Mais il y a matière à discuter avec la direction », espère le syndicaliste. Une expertise, demandée par le comité central d’entreprise, a été confiée au cabinet Secafi, « pour tenter d’éviter d’appliquer le plan de sauvegarde de l’emploi projeté par la direction », indique la CGT. Les syndicalistes comptent sur l’analyse de Secafi pour montrer que le site est victime d’une politique de transfert d’activité vers le site polonais de Debica : « C’est depuis 2004 que nous avons vraiment subi des baisses de production importantes. Entre 2004 et 2007, nous avons perdu 50 % de la production tourisme », souligne la CGT. Avec l’intention d’assigner la société mère de Goodyear aux États-Unis pour réclamer « le retour des volumes de production ».
Elle pointe aussi l’opacité du géant américain du pneumatique qui a créé, en 2004 au Luxembourg, une structure financière nommée GDTO, notamment pour éviter de payer des impôts en France. La CGT va également demander au comité d’entreprise européen de Goodyear, qui devrait se réunir le 13 mars, la suspension du plan social pour irrégularité. Le syndicat mène de front plusieurs batailles contre la direction du géant américain et met en avant le fait que Goodyear devrait engranger un bénéfice net de 1,5 milliard de dollars pour l’année 2012. Pour Fiodor Rilov, « il existe une possibilité économique de poursuivre l’activité de pneus agraires », à une condition : « Goodyear doit accepter de donner la marque à une éventuelle Scop, tout ce qu’il était prêt à livrer gratuitement à Titan. » Mais, « s’ils disent non, il va falloir qu’ils expliquent au juge pourquoi ils préfèrent licencier 1 173 personnes », prévient l’avocat.