Pablo Larraín : « Donner des éléments de réf lexion »
Le cinéaste chilien jette un regard critique sur les 25 dernières années qu’a connues son pays.
dans l’hebdo N° 1243 Acheter ce numéro
Dans le cadre décalé d’un grand hôtel parisien près de la place Vendôme, Pablo Larraín, de passage à Paris début février, enchaînait les entretiens. Interview express.
Le départ de Pinochet a été obtenu en employant une des armes du capitalisme : la publicité. Qu’en pensez-vous ?
Pablo Larraín : Pinochet s’est injecté son propre venin. C’est lui qui a imposé le capitalisme et ce qui va avec, comme la publicité. Ce paradoxe est intéressant, mais le film propose aussi une vision des vingt-cinq années qui ont suivi la fin de Pinochet. Le Chili est un pays où l’on abuse du capitalisme. Les services publics y sont peu développés et de mauvaise qualité. Le pays appartient à une dizaine de propriétaires, dont l’un d’eux est l’actuel président de la République, Sebastián Piñera. Aujourd’hui, la conscience collective des inégalités et de l’injustice sociale est en train de s’affermir, mais la démocratie qui s’est installée au Chili était un peu vérolée. Tous les gouvernements qui se sont succédé, quelle que soit leur couleur politique, ont renforcé le capitalisme. Ce qui signifie qu’ils ont continué à faire fructifier l’héritage économique de Pinochet.
Les clips de la campagne que l’on voit dans « No » sont les clips originaux…
Oui. Un tiers du film est constitué d’archives et tous les clips sont originaux. Nous avons aussi filmé dans le format de l’époque. Si nous avions utilisé la haute définition (HD) et le format habituel, il y aurait eu une rupture de ton. Il fallait assumer ce regard « politico-visuel ». Et nous devions réussir l’amalgame entre les séquences d’archives et celles que nous avons tournées. Au point que le documentaire se fonde dans la fiction et réciproquement, ces frontières devenant floues. Cette façon de filmer était aussi une façon de protester contre l’hégémonie de la HD. Aujourd’hui, toutes les images ont tendance à savoir la même texture, la même valeur.
« No » pose la question de la fin et des moyens. N’est-ce pas une question que rencontre aussi un cinéaste ?
C’est facile de se perdre et de céder aux pressions de l’argent et de la stupidité. Ce qui m’intéresse, c’est de faire un cinéma honnête, avec des perspectives idéologiques, qui crée un pont non pas forcément vers un très grand public, mais un certain nombre de spectateurs. Mon intention n’est pas de faire un cinéma de pamphlet ou de message, parce que cela signifie qu’on désire changer le spectateur. Mon but consiste seulement à donner des éléments de réflexion.