Savary, grand bateleur

Le metteur en scène et comédien Jérôme Savary était certes démagogue, mais quel artificier !

Gilles Costaz  • 14 mars 2013 abonné·es

Il avait créé en 1968 le Grand Magic Circus. Né en Argentine et revendiquant une allégresse qui emprunte beaucoup au carnaval, à la samba, aux courants joyeux du jazz, Jérôme Savary, décédé le 6 mars, inventait quelque chose de corsé dans ces années-là : un théâtre proche de la bande dessinée, assez mal écrit mais explosif par le dynamisme de ses comédiens et de ses saltimbanques.

L’objectif est alors de casser la baraque de l’art dramatique et, parmi les athlètes des tumultueuses années 1960 et 1970, Savary est celui qui dédaigne le plus les débats esthétiques et politiques pour laisser parler le déchaînement de filles peu vêtues, d’acrobates casse-cou et d’acteurs baraqués. Tout cela sur fond de musiques variées et d’abolissement des frontières avec le cirque et le music-hall. Dans Zartan, frère mal-aimé de Tarzan comme dans Superdupont, d’après Gotlib, ce sont les clichés d’un imaginaire petit-bourgeois qu’il met à mal. Ses pièces dansent et font danser l’esprit du spectateur, un peu comme les shows de Joséphine Baker cinquante ans plus tôt. Le temps passe. Savary cultive son personnage. Il a toujours le cigare au bec, porte des chemises à fleurs et s’entoure de femmes au corps de déesse. Il est généreux, claque l’argent pour lui-même et pour les autres. Il met en scène furieusement pièces classiques, opéras, shows, récitals, meetings, même (celui de Mitterrand notamment), ici et là, en France et ailleurs. Il est souvent lui-même en scène, jouant et soufflant dans sa clarinette. Il fait sauter les fuseaux horaires dans une course frénétique pendant laquelle il professe le culte du plaisir et son dédain des cérébraux et des moralistes.

Jérôme Savary prend la direction du Théâtre de Chaillot puis celle de l’Opéra-Comique. Il tombe à pieds joints dans la démagogie, mais le boulot est superbe. Ce jouisseur est un travailleur et un directeur implacables, attentif à tout. Même le douzième figurant en partant de la droite joue la pièce. Peu d’artificiers du théâtre ont eu, comme Savary, le don de composer ce type de délires rigoureux. Soudain, la maladie survient et fauche l’artiste à l’âge de 70 ans. Il avait eu le temps de faire un dernier et joli spectacle conçu avec amour autour de sa fille, la très douée Nina Savary, la Fille à marins. Il y jouait le bateleur, une dernière fois.

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