11.6 : La mélancolie du convoyeur de fonds
Dans 11.6, de Philippe Godeau, François Cluzet est remarquable en Toni Musulin.
dans l’hebdo N° 1247 Acheter ce numéro
Àelle seule, la personnalité de Toni Musulin est romanesque : un convoyeur de fonds – pas toujours d’humeur facile mais ne posant pas de gros problème à sa direction ni ne se distinguant dans la vie par un comportement particulier – commet un jour de 2009 un acte extraordinaire. Cet acte est aussi le ferment d’un beau suspense : comment, sans complicité, ce salarié a subtilisé 11,6 millions d’euros (d’où le titre du film de Philippe Godeau, 11.6 ). Mais l’œuvre tirée de ce fait divers ne pouvait être à proprement parler un polar. Pas d’arme utilisée, pas de sang versé, aucun coup donné, pas de cavale non plus : le film commence quand Musulin vient se rendre à la police. Ce qui a fait opter le cinéaste pour une solution radicalement inverse. Le Toni Musulin de 11.6 est avant tout inscrit dans son quotidien, où il se montre (presque) impénétrable. Il a une compagne (Corinne Masiero), envers laquelle il ne manifeste pas une tendresse débordante. Il a un collègue attitré, avec qui il effectue toutes les livraisons d’argent (Bouli Lanners). Même si celui-ci est son contraire – bavard, attaché à une souris blanche qu’il garde toujours avec lui –, Musulin semble l’avoir pris d’affection sans pour autant s’en être fait un ami. C’est pourtant dans cette banalité même que son geste d’une audace incroyable se fonde. Une première raison est esquissée quand Musulin découvre que l’entreprise le lèse depuis longtemps sur son bulletin de salaire. Il décide de faire payer la direction. Et, en effet, le vol qu’il va commettre la fera tomber. Une autre piste possible : Musulin fait des investissements dont on ne saura rien, sinon qu’ils lui permettent d’acheter une Ferrari aux enchères.
Mais le film se garde bien de donner une explication clé en main, fidèle en cela à la véritable histoire et à certains secrets gardés par le Toni Musulin de la réalité. Le vrai mystère se trouve dans le personnage : c’est exactement ce que façonne François Cluzet, qui joue cependant l’intériorité sans ostentation ni affectation. Le comédien, pas toujours convaincant ailleurs, compose, devant la caméra de Philippe Godeau, un personnage sur la crête de l’ambiguïté et de l’opacité, parfois inquiétant parfois désarmant. Cluzet est remarquable en homme simple et complexe, taiseux, mais dont on devine qu’un flot de paroles le traverse. Reste au spectateur à imaginer lesquelles.