Bossez, feignasses !

Baptiste Mylondo  et  Samuel Michalon  et  Lilian Robin  • 4 avril 2013 abonné·es

Àcompter de 2014, il ne sera plus possible d’embaucher un salarié moins de 24 heures par semaine. C’en sera fini du temps très partiel subi ! Sauf pour les étudiants. Sauf pour les employés de maison. Sauf pour les intérimaires. Mais, pour tous les autres, ce sera donc, au pire, 24 heures. Belle avancée. Mais que dire alors à ceux qui voudraient en faire moins ? Bossez, feignasses ! On plaisante à peine.

Suivant l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier et l’avant-projet de loi qui le prolonge, il sera bien possible d’être salarié moins de 24 heures par semaine mais uniquement dans le but de cumuler plusieurs emplois. Travailler moins pour travailler plus, en somme… Mais pour ceux qui souhaiteraient simplement travailler moins pour travailler moins ? Bossez, feignasses ! Ah si : un salarié pourra l’être moins de 24 heures par semaine, mais à condition d’en faire la demande explicite, motivée par des « contraintes personnelles ». Et pour ceux qui, faute de contraintes, n’auraient que de simples convenances personnelles à faire valoir ? Bossez, feignasses ! Nous comprenons bien que la mesure en question vise à lutter contre la précarité de l’emploi et le temps partiel subi. Mais qu’en est-il du temps partiel choisi ? Que devient le mi-temps des amoureux du temps libre ? A-t-on perdu de vue que la réduction du temps d’emploi est un objectif sensé dans une optique de progrès social, et que l’on pourrait opportunément consacrer son temps à d’autres activités que le boulot ? On nous objectera sans doute qu’il s’agit là d’un problème de riches, qu’ils ne sont pas nombreux ces chanceux qui peuvent se permettre de ne bosser qu’à mi-temps, se contenter d’un demi-salaire et profiter pleinement de leur temps libéré. Admettons, car le temps partiel ne concerne en effet qu’une minorité de salariés. Toutefois, il faut garder à l’esprit que, contrairement à une idée trop répandue, plus des 2/3 des salariés à temps partiel le sont par choix [^2], et que la moitié d’entre eux, soit 1,4 million de salariés, travaillent moins de 25 heures par semaine [^3]. Cela ne veut pas dire que nous ne soyons pas nombreux à souhaiter les imiter…

Problème de riches encore ! Or, en toutes circonstances, ce n’est pas du sort des privilégiés qu’il faut se soucier en priorité, mais de celui des moins bien lotis. La chose ne fait aucun doute à nos yeux. Si l’on s’inquiète du sort des moins bien lotis, regardons donc la situation des salariés pauvres. Smicards à temps partiel, ces salariés se voient, pour les plus malchanceux d’entre eux, confier des tâches ingrates, pénibles et en fin de compte peu épanouissantes. En quoi l’accord du 11 janvier améliore-t-il leur sort ? « Vous avez un boulot peu épanouissant et mal payé que vous faites 18 heures par semaine ? On vous accorde le droit, le privilège même, de le faire un peu plus longtemps. » Chouette ! Soyons sérieux, ou simplement humains : si l’on souhaite vraiment améliorer le sort de ces salariés pauvres, il ne faut pas leur garantir un temps d’embauche minimum, prolonger leur corvée, mais bien leur garantir un revenu plus élevé (en attendant un partage plus équitable des tâches ingrates). Il ne convient donc pas de fixer un temps d’emploi hebdomadaire minimum, mais plutôt d’augmenter la rémunération horaire nette de ceux qui ont des petits contrats. On peut ainsi imaginer un système de cotisations salariales progressives en fonction du temps d’embauche, mais aussi en fonction du taux de rémunération brute pour accentuer l’effet redistributif. Les employés à temps partiel verraient alors leur taux de cotisation baisser (mais pas leurs droits) et leur salaire net augmenter, à commencer par les salariés les plus pauvres.

Par ailleurs, si l’on s’intéresse toujours aux moins bien lotis, il s’agirait de ne pas oublier les chômeurs. De ce point de vue, interdire aux salariés de réduire leur temps d’embauche en deçà de 24 heures par semaine est absurde, en plus d’être rétrograde. Pourquoi ne pas inciter au contraire une réduction du temps d’embauche pour mieux opérer un partage de l’emploi (en attendant l’instauration d’un revenu inconditionnel) ? C’est donc bien une prime au temps partiel qu’il faut mettre en place et, au-delà, c’est un droit au temps libre qu’il faudrait affirmer : donner à chaque salarié le droit inconditionnel d’accéder au temps partiel sans subir une intensification de sa charge de travail, sans qu’il ait à justifier son choix, et surtout sans que l’on puisse le lui refuser, sans que l’on puisse lui répondre : « Bosse, feignasse ! »

[^2]: Nous parlons ici du temps partiel choisi, que la demande du salarié s’appuie sur des « contraintes » ou des convenances personnelles.

[^3]: « Le temps partiel en 2011 », Dares Analyses, n° 5, janvier 2013.

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