Chávez : une figure à dépasser
La campagne présidentielle de Nicolas Maduro se place sous l’aura du président défunt. Une stratégie gagnante à court terme, mais difficile à tenir au-delà des élections du 14 avril. Correspondance de Jean-Baptiste Mouttet.
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Serions-nous revenus en octobre 2012, lors de l’élection présidentielle qui a vu gagner Hugo Chávez avec 55,25 % des suffrages ? L’ancien président socialiste est omniprésent durant cette campagne organisée dans l’urgence à la suite de son décès, le 5 mars dernier. Les affiches d’octobre ont été ressorties et accrochées fièrement aux fenêtres des petites maisons des barrios, ces quartiers populaires semblables aux favelas brésiliennes. « Chávez, cœur de ma patrie », clament-elles avec le V remplacé par un cœur. Au fil de la campagne, les affiches de Nicolas Maduro apparaissent : « Depuis mon cœur, Maduro président. » Cette fois, c’est le A de Maduro qui s’est transformé en cœur. Les militants socialistes et les graffitis le répètent : « Chávez n’est pas mort, il s’est multiplié. » Le 14 avril, les Vénézuéliens voteront en mémoire de Chávez. Dans le barrio du 23 de Enero, bastion chaviste, Orenly Orellana, casquette du Parti socialiste sur la tête, le rappelle : « Chávez a donné sa confiance à Maduro, nous faisons donc confiance à Maduro. » Hugo Chávez avait en effet désigné Nicolas Maduro comme son successeur le 8 décembre, avant de s’envoler vers Cuba pour y subir de nouvelles opérations.
Celui qui se désigne comme « le fils d’Hugo Chávez » répète que son programme est le même que celui de son mentor, et pousse le détail jusqu’à répéter la même scénographie lors de ses meetings dans les grandes villes du pays. En conclusion de ses allocutions, des enfants déguisés en Simon Bolivar, le père de l’indépendance, remettent des fleurs au candidat de la présidentielle. Comme ils le faisaient avec le chef d’État défunt. « Maduro essaye d’inscrire son leadership en manipulant l’émotion des personnes qui soutenaient Hugo Chávez, en se présentant comme l’élu », analyse le sociologue Rafael Uzcátegui, auteur de Venezuela : révolution ou spectacle (Spartacus 2011). Le candidat de l’opposition, Henrique Capriles, a beau l’interpeller : « Nicolas, tu n’es pas Chávez ! », attaquer la politique menée en l’absence du fondateur de la révolution bolivarienne, rien n’y fait. La stratégie des socialistes demeure la même. Et cela fonctionne. Six instituts de sondages donnent Nicolas Maduro grand gagnant, avec une avance de 7 à 20 points sur le candidat de l’opposition. « À court terme, cette stratégie lui apportera des voix, mais à moyen terme il devra affronter la critique. Après des mesures difficiles à prendre, des attaques comme “Chávez l’aurait fait différemment” ou “C’est une trahison de Chávez” apparaîtront », poursuit Rafael Uzcátegui. Janette Habel, maître de conférences de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), proche du Front de gauche, va dans le même sens : « Pour l’instant, Nicolas Maduro est auréolé par Chávez, mais cela ne peut pas durer. L’opposition paraît plus dure, il n’a pas la même légitimité et des réformes vont s’imposer. »
Ces réformes, Nicolas Maduro y sera rapidement confronté. Le cancer et les longues absences d’Hugo Chávez, du fait de sa maladie, les ont repoussées. Le nouveau gouvernement devra s’attaquer à l’insécurité, thème majeur de la campagne, qui touche de plein fouet les classes populaires. Selon le gouvernement, il y a eu 16 072 assassinats en 2012. Quant à l’économie, elle demeure fortement dépendante du pétrole avec plus de 90 % des exportations du pays. Si l’or noir a permis de réduire la pauvreté [^2], cet unique revenu provoque une dépendance vis-à-vis des États-Unis, son premier client, mais aussi à l’égard des importations, et suscite une forte inflation (20,1 % en 2012). Même en détenant les plus grandes réserves au monde de pétrole, selon l’Opep, le pays ne parvient pas à augmenter sa production. Aux dires du gouvernement, 2,5 millions de barils étaient exportés par jour en 2012, contre 2,46 millions en 2011. Les infrastructures de l’entreprise nationale de pétrole (PDVSA) sont pointées du doigt. Comme le note Janette Habel, l’intégration officielle du Venezuela, en août 2012, au marché commun du Sud, le Mercosur, provoque certaines obligations pour le pays.
Le gouvernement a débuté ces réformes en dévaluant de près de 32 % le bolivar, en février, afin de résorber le déficit public, qui s’élève à 10 % du produit intérieur brut (PIB). En début d’année, le gouvernement parlait même d’augmenter le prix de l’essence à la pompe, un des plus bas au monde et largement subventionné par l’État (le litre coûte 0,01 dollar). Cette mesure serait hautement impopulaire. Pour l’instant, la figure de Nicolas Maduro est en construction, timidement, afin de se créer peu à peu une légitimité pour mener à bien les réformes. « Votez pour le chauffeur de bus » s’affiche sur les murs de Caracas, en référence à l’ancien emploi du candidat, ex-dirigeant syndical. Mais, en dix jours de campagne, il est difficile d’aller au-delà d’une première esquisse. Elle présage seulement les prochains mois de gouvernement en vue des élections à venir. En juillet, lors des municipales, le gouvernement aura alors plus de mal à faire revivre la figure de Hugo Chávez.
[^2]: Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc), qui dépend de l’ONU, la pauvreté a diminué de 20,8 % entre 2002 et 2010 au Venezuela.