FSM 2013 : L’islam politique cherche sa gauche
Débat central au FSM de Tunis : « Qu’est-ce qu’un régime islamique progressiste ? »
dans l’hebdo N° 1247 Acheter ce numéro
Une longue file s’étire devant l’amphi n° 7 de la fac de droit, totalement bondé. Mercredi 27 mars, à l’université El Manar de Tunis, le Forum social mondial (FSM) héberge un premier grand débat sur l’islam politique. Pendant toute la durée du rassemblement altermondialiste, les adresses ont souvent paru destinées à un public de gauche, tenant d’une laïcité de stricte observance comme boussole de la modernité politique. Notamment en France. « Nous sommes agacés par la mainmise hexagonale sur ces questions, se plaint un orateur “humaniste” belge. La laïcité peut propager le populisme, on le voit au Front national ou ailleurs en Europe. » Ismahane Chouder, de l’association Participation et spiritualité musulmanes, porte le voile et revendique son féminisme : « Nous récusons qu’il suppose en préliminaire la laïcité, qui, inversement, n’induit pas mécaniquement de convictions féministes chez ses tenants… Il n’existe pas un modèle unique d’émancipation. » Les échanges font consensus sur la nécessité de dépasser la polarisation simpliste entre islam « régressif » et laïcité « progressiste ». « Nous vivons actuellement ce blocage en Tunisie, souligne l’intellectuel Slaheddine Jourchi. La gauche historique considère non démocratique le parti islamiste Ennahda au pouvoir, qui juge cette dernière insignifiante, déconnectée de la vie sociale. »
Si l’islam politique a classiquement été rangé à droite, il recouvre en réalité une grande diversité de courants, insiste-il, « ce n’est pas une famille homogène, il existe des divergences considérables sur la manière d’exercer le pouvoir, sur l’adhésion à la démocratie, etc. ». Quoi qu’il en soit, martèle Tariq Ramadan, un fait s’impose : « Dans tous les pays à majorité musulmane, l’islam sera une référence incontournable. » Sur le plan éthique seulement ? Peut-il porter un modèle politique moderne et des alternatives économiques ? Pour l’islamologue, une bonne gouvernance a pour socle une citoyenneté égalitaire et l’existence d’un État indépendant du pouvoir religieux. Alors que la crise économique frappe les pays concernés, le journaliste Alain Gresh insiste sur la nécessité de répondre aux enjeux économiques et sociaux, et aux aspirations des jeunes. La révolution égyptienne en amène beaucoup au pouvoir, bien moins en Tunisie, constate Fabio Merone, qui a enquêté dans les quartiers défavorisés. Le sociologue italien, tout en reconnaissant des dérives extrémistes latentes, constate combien l’islam a joué le rôle d’un « formidable activateur » pour l’intégration sociale et politique d’une jeunesse défavorisée, autrefois invisible sous Ben Ali. « Il faut lui donner toute sa place. »
C’est dans le but de se libérer de la colonisation que sont nés les mouvements politiques inspirés par l’islam, « mais sans véritable projet économique alternatif », souligne Tariq Ramadan. Face à la mondialisation, cette lacune lui apparaît comme une faiblesse majeure. Si les Frères musulmans, cogestionnaires du pouvoir égyptien au début des années 1940, ont lutté contre la spéculation et pour la réforme agraire, les régimes islamistes actuels – en Irak, Libye, Égypte, Turquie, etc. – adhèrent pleinement au libéralisme mondialisé. « Certes, ces gouvernements subissent des instabilités économiques, convient l’islamologue, mais ils semblent surtout obsédés par le souci d’être reconnus comme des acteurs démocratiques respectables, ce qui supposerait de faire allégeance à la Banque mondiale et au FMI. » Et la pratique constante, par les mouvements islamistes, de l’assistanat des pauvres ou de l’encadrement social des quartiers ne doit pas faire illusion. « Il s’agit plus de charité que d’émancipation. Il n’existe pas à ce jour d’alternative économique d’inspiration islamiste. »
Tariq Ramadan voit cependant un potentiel, puisé dans la morale d’une religion qui prône la résistance à un ordre capitaliste brutal. « Pour avancer, il faut aujourd’hui imaginer dans ces pays d’improbables alliances avec une gauche progressiste sur le plan économique. À condition que cette dernière abandonne ses positions rétrogrades sur l’islam… Va-t-on poursuivre les disputes sur l’éthique sociale, ou bien tirer parti des similarités sur le terrain des alternatives économiques ? »