« La Maison de la radio » de Nicolas Philibert : Des ondes de bonheur

La Maison de la radio, une immersion de Nicolas Philibert au coeur de la fabrique de sons et de silences.

Christophe Kantcheff  • 4 avril 2013
Partager :

Donner des images à ce qui par définition n’en a pas : la radio, par exemple. Mais, avec la multiplication de la vidéo sur les sites des chaînes, cette tautologie – on ne voit rien de ce qui se passe à la radio – est de moins en moins vraie. Surtout, il ne faudrait pas croire que la Maison de la radio, le nouveau documentaire de Nicolas Philibert, qu’on avait laissé avec Nénette (2010) au Jardin des plantes, s’attache à combler le « handicap » de la radio de ne pas être de la télévision (un handicap qui, justement, n’en est pas un). Le film ne se veut pas non plus un tableau « représentatif » des programmes, ni une galerie de portraits des animateurs ou des émissions « vedettes » (encore moins des directeurs des différentes chaînes). Si, au début, on découvre les traits de ceux dont on reconnaît la voix, ce petit jeu, pas désagréable en soi, devient vite secondaire tant l’intérêt est ailleurs. Pas de malentendu là-dessus : la Maison de la radio, comme tous les films du cinéaste, et comme tous les documentaires dignes de ce nom, traque l’inaperçu, le non-regardé, aussi le non-entendu, et donc, en ce sens, l’invisible. Au gré d’une journée dans les entrailles du « paquebot » – ce film procède d’une totale immersion en son sein –, du début du 7/9 sur France Inter jusqu’au soir sur France Bleu ou la nuit sur France Culture, la caméra de Nicolas Philibert passe de cabine et cabine. Ou, si l’on préfère, d’un studio où une cantatrice répète entourée de musiciens à un couloir où le dénommé Jésus pousse le chariot portant café et jus d’orange, du bureau où une rédac’ chef commente non sans humour les dépêches d’agence à la moto qui suit le tour de France, du garage où sont réparées les voitures siglées « Radio France » à une salle des fêtes en province où est enregistrée une séance du « jeu des 1000 euros »…

On peut voir ce film comme parsemé de nombreuses anecdotes souvent drôles : vient, par exemple, le moment inévitable où les bruits de perceuse, célèbres à la Maison de la radio, perturbent les enregistrements et les répétitions ; ou bien voici tel journaliste lancé dans une question interminable qui ne laissera pas le temps à son interlocuteur de répondre car l’émission se termine… Mais, ce qui frappe, c’est que la plupart des séquences se focalisent sur le travail. Toutes sortes de métiers sont à l’œuvre dans la Maison ronde. Avec, au cœur de la ruche, la production de parole, de sons et de musique. Et son indissociable pendant, sans quoi rien n’est possible à la radio : la capacité d’écoute. De ce point de vue, la Maison de la radio devient vite passionnant. Où l’on voit par exemple que l’écoute de la plupart des animateurs face aux invités est toujours soutenante. C’est, par exemple, Philippe Collin et Xavier Mauduit hochant simultanément la tête avec un large sourire. Ou Alain Veinstein et son regard doucement scrutateur. Tout aussi captivant est le silence de son interviewée avant la prise d’antenne et pendant la présentation qu’il fait d’elle, ses yeux grands ouverts, mêlant l’inquiétude et la curiosité, parfois à la limite du comique. C’est aussi le plaisir contemplatif de celui qui enregistre les bruits de la nature.

Il y a encore le silence qui transfigure. Celui de la réalisatrice de fiction (ici Marguerite Gateau) qui écoute le jeu, le ton, la justesse du comédien. Souvent, elle ferme les yeux ou, au contraire, son regard devient intense, non pour plonger en elle mais pour être tous sens dehors. Ce qui lui permet de jauger la qualité des prises, de délivrer un conseil aux acteurs. Ces marques de la concentration transforment le visage, lui octroient une beauté grave. Seul le cinéma à l’œuvre à la Maison de la radio pouvait révéler ceci : l’espace d’un instant, celle qui a le masque de la tragédienne est de l’autre côté de la vitre. Comme dans la Ville Louvre (1990), Nicolas Philibert montre à quel point un lieu de travail qui ne ressemble à aucun autre, est une institution en soi, réunit, fait coexister, collaborer des sommes de compétences (techniques, artistiques…) et de qualités humaines. Ici, la Maison de la radio, plus qu’à un « paquebot », ressemble à une Arche de Noé qui préserverait les ressources de l’humanité. C’est-à-dire : sa capacité à capter le monde, à créer et à transmettre.

**La Maison de la radio** , Nicolas Philibert, 1 h 43.
Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don