Le paradis des Assassins

Le marionnettiste Patrick Sims revisite la légende perse du fondateur de la secte d’Alamût.

Anaïs Heluin  • 18 avril 2013 abonné·es

C’est avec une métaphore à quatre pattes, articulée de partout, que Patrick Sims aborde dans le Vieux de la montagne – The Old Man of The Moutain la légende de Hassan Sabbah. Symbole de l’entrée au paradis selon l’évangile de Marc, un chameau miniature entre dans le chas d’une aiguille géante. Comme toutes les marionnettes créées par l’artiste américain et ses trois acolytes que sont Joséphine Biereye, Zana Goodal et Richard Penny, l’animal de fourrure synthétique et de résine est un carrefour qui donne sur plusieurs époques et plusieurs niveaux de compréhension. Bien sûr, il évoque la Perse du XIe siècle, contexte historique du mythe de Hassan Sabbah. Mais il introduit aussi une réflexion sur l’idée de paradis, déclinée durant tout le spectacle grâce à un savant mélange de nouvelles technologies et de techniques traditionnelles de l’art de la marionnette.

La tentation exercée par le paradis, et surtout les manipulations créatrices de mirages paradisiaques, sont le fil rouge du Vieux de la montagne. La légende persane – histoire du Vieux de la montagne qui entraîne des soldats dans sa principauté d’Alamût en leur promettant femmes, musique et drogue à volonté pour ensuite les mener à la guerre – sous-tend en effet une exploration de paradis artificiels beaucoup plus proches de nous. Juke-box d’où jaillit une musique tonitruante, flippers son et lumière, petit taureau mécanique… Grâce à ces objets et à bien d’autres encore, Patrick Sims crée une atmosphère saturée d’appels à l’évasion. On pense à l’Amérique du XXe siècle, celle de Burroughs et de la Beat Generation, sans jamais y être tout à fait plongé.

Épouvantails, dindon au visage d’Indien, singe à la double face ou encore reptile habillé en punk donnent à la critique de l’aliénation issue des États-Unis une dimension mythique. Transpositions et allégories de la légende d’origine, ces créatures chimériques forment un ballet qui se passe d’intrigue et de texte. Contrôlées par des marionnettistes masqués et habillés de combinaisons noires, leurs allées et venues suffisent à dire la complexité des mécanismes de domination d’un individu, d’une population. Les nombreuses références cinématographiques, littéraires et musicales portées par chaque marionnette sont offertes aux spectateurs. Chacun les pénètre comme il les entend. Spectacle exigeant, le Vieux de la montagne ne promet pas un autre monde meilleur : tout est ici et maintenant.

Théâtre
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