« Promised Land », de Gus Van Sant : leurre du gaz de schiste
Promised Land, de Gus Van Sant, met en scène un village américain dragué par l’industrie gazière. Un beau film idéaliste à la Capra.
dans l’hebdo N° 1249 Acheter ce numéro
Gus Van Sant a déjà montré maintes fois qu’il ne pouvait s’astreindre à une unique « marque de fabrique ». Passant de films de studio ( Will Hunting, À la rencontre de Forrester …) à des productions indépendantes ( Elephant, Last Days …), il fait aussi évoluer sa manière et aborde différents types de sujets. Il existe pourtant au moins un point commun à tous ses films : la qualité du regard que le cinéaste porte sur ses personnages. C’est encore le cas aujourd’hui avec Promised Land, se situant dans la veine d’ Harvey Milk, qui retrace le parcours tragique d’un des premiers activistes gays aux États-Unis.
Promised Land se coltine avec les réalités sociales tout en se focalisant sur un problème actuel : le gaz de schiste. On peut dire que Promised Land est le premier film environnementaliste de Gus Van Sant, mais le cinéaste ne traite pas cette question comme un dossier ni dans une perspective militante. On ne saura heureusement pas tout des méfaits de la fracturation hydraulique quand arrivera le générique de fin, mais on aura assisté au dilemme moral qui va finalement bouleverser le personnage principal, Steve Butler (Matt Damon), et à un événement politique au sens premier du terme : des habitants d’un village vont faire valoir leur statut de citoyens au lieu d’attendre et de laisser faire.
Que l’action se déroule aux États-Unis n’est pas secondaire, vu de France. Alors que de ce côté-ci de l’Atlantique, l’exploitation du gaz de schiste est encore en débat, de l’autre côté, l’urgence des firmes est à l’accroissement des parts de marché. C’est dans ce but qu’au tout début du film, Butler est embauché et missionné par une grosse entreprise pour rafler la mise dans un coin paumé, une campagne déshéritée. Ainsi, la « Promised Land » (terre promise) est à entendre selon les deux points de vue : une région de profits potentiels, ou, pour les paysans, la fin d’une existence misérable.
Butler est un honnête employé au sens où il essaie de faire bien ce qu’il lui est demandé. Quand il arrive « sur zone » avec sa collègue, Sue (Frances McDormand), il s’habille couleur locale (chemises à carreaux et jean épais). Il démarche auprès des familles les plus pauvres et leur promet des revenus confortables. Il n’hésite pas non plus à faire pression sur le maire du village.
Mais Butler se retrouve en butte à deux obstacles. Le premier est l’assemblée des villageois, menée par le vieux Frank Yates (Hal Holbrook), dont la méfiance vient de l’information critique sur le gaz de schiste glanée sur Internet – la modernité au service de ces « vieux bouseux », l’ironie n’est pas fortuite. Le second obstacle est un militant écologiste, Dustin Noble (John Krasinski), surgi de nulle part, qui s’emploie à dresser les habitants contre les arguties de Butler.
Une idée très féconde de Gus Van Sant et de ses scénaristes (Damon et Krasinski eux-mêmes, qui sont aussi coproducteurs du film) est d’avoir attribué à l’activiste écolo une personnalité peu sympathique. Celui dont la cause est juste est une tête à claques. Noble ne craint pas l’esbroufe, la démagogie et drague sans finesse la jolie fille à laquelle Butler n’est pas insensible. Et certaines situations ou dialogues ne sont pas exempts d’humour. Le spectateur se trouve ainsi au centre d’un triangle antagonique inattendu : Matt Damon, comédien bénéficiant d’un capital de sympathie (pour nombre de ses rôles précédents, pour ses divers engagements), est le méchant de l’histoire, jusqu’à un certain point ; Krasinski est le gentil, mais insupportable ; tandis que les villageois gardent leur dignité, actionnant ce qu’ils ont à leur portée, la démocratie, c’est-à-dire leur capacité de réflexion, d’écoute et de décision.
D’où le caractère idéaliste de Promised Land, renforcé, a contrario, par l’affreux cynisme que révèle le renversement de situation final et qui, d’une certaine façon, remet les choses à l’endroit. Mais cet idéalisme n’a rien d’un message plaqué et saint-sulpicien. La caméra de Gus Van Sant n’« utilise » pas les personnages pour produire un discours. Comme chez Frank Capra, elle donne à voir leur humanité. Qui sourd parfois dans l’âme de ceux qu’on croit les plus compromis.
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