Un appel à la raison
Dans son dernier livre, l’historien israélien Shlomo Sand poursuit sa déconstruction méthodique de l’idéologie sioniste.
dans l’hebdo N° 1247 Acheter ce numéro
Àlui seul, le titre du dernier livre de Shlomo Sand en fera bondir plus d’un. Après Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2009) et Comment la terre d’Israël fut inventée (Flammarion, 2012), ce professeur d’histoire contemporaine de l’université de Tel-Aviv poursuit sa croisade laïque avec son ouvrage le plus personnel : Comment j’ai cessé d’être juif. Le propos de Shlomo Sand est connu. Il bataille contre l’historiographie sioniste qui vise à transformer le judaïsme en peuple, voire en ethnie. Il part cette fois d’une interrogation : peut-on être juif et laïc ? Que reste-t-il du judaïsme quand on en retire la religion et, par extension, la culture religieuse ? « Quel mode de vie distingue et caractérise les juifs laïcs ? Pourquoi ne s’écrit-il pas de poésie, de littérature ni de philosophie juive laïque ? », demande Sand avec ironie. La réponse serait anecdotique si l’idéologie sioniste n’était précisément fondée sur l’affirmation d’une généalogie et d’une ethnicité.
Une affirmation qui débouche sur l’idée d’une citoyenneté juive et sur la fameuse condition posée aux Palestiniens de reconnaître Israël comme « État juif ». Pour Shlomo Sand, « une culture ne saurait […] se résumer à la nostalgie et à des commémorations rituelles d’origine religieuse qui peuvent certes constituer un point de départ appréciable dans le système complexe de définition des individus, mais qui risquent aussi de contribuer à instaurer des murs de séparation entre les humains ». « Pour justifier la colonisation en Palestine, écrit-il, le sionisme a invoqué la Bible, présentée comme un titre de propriété sur la terre, et il a ensuite dessiné le passé […] comme l’histoire linéaire d’un peuple-race. » Sand pousse sa démonstration : « Imaginons qu’en France on décide de modifier la Constitution en établissant que le pays doit être défini comme un État gallo-catholique et que 80 % de son sol ne peut être vendu qu’à des citoyens gallo-catholiques » …
Transposée, la proposition apparaît en effet dans sa cruelle absurdité. Au passage, Sand corrige une erreur fréquemment commise. Israël, dit-il, n’est pas une théocratie mais une ethnocratie. La caractéristique et la contradiction du sionisme étant qu’il s’appuie sur la religion alors qu’il n’est pas lui-même d’essence religieuse. En fait, sous un titre qui sera interprété à tort comme provocateur, Shlomo Sand défend un idéal républicain. Il ne cesse pas tant d’être juif que d’être, en Israël, un citoyen juif condamné à un « hermétisme tribal ». À l’inverse, il revendique sa citoyenneté israélienne. « L’israélité, dit-il, est une représentation politico-culturelle et non pas “ethnique”, [qui] a un potentiel d’identité ouverte et intégrative. » Autrement dit, on devrait pouvoir être musulman, juif, chrétien ou athée et Israélien de plein droit sans souffrir de discrimination. Conduite avec force et profondeur, la réflexion de Shlomo Sand est un appel à la raison.