Un paysage à recomposer

La nomination de douze directeurs de structures subventionnées déclenche une véritable guerre.

Gilles Costaz  • 11 avril 2013 abonné·es

Le paysage théâtral, dans le secteur subventionné, est en train de changer. Une douzaine de directeurs ou de directrices de théâtres publics vont quitter leur poste dans le délai d’un an. Soit le quart des responsables de nos institutions ! Longtemps, notre système a été dominé par la mainmise de la génération de Mai 68, avec les Savary, Chéreau, Planchon… Peu à peu, les portes se sont entrouvertes ; on a vu arriver, avec des bonheurs divers, les Nordey et les Py. Mais la place donnée à la jeunesse s’est faite au compte-gouttes. En même temps, la notion d’expérience n’est pas négligeable. Ne vient-on pas de voir un jeune acteur, Christophe Maltot, contesté par l’ensemble du personnel du centre dramatique de Besançon et obligé de quitter les lieux, laissant un fauteuil de patron actuellement vacant ?

L’objectif d’Aurélie Filipetti, la ministre de la Culture, est de faire entrer les nouvelles générations mais aussi de donner aux femmes une part qu’elles n’avaient pas eue jusqu’à maintenant. La procédure est de recenser les candidatures et de faire un premier choix, limité à quatre noms et comprenant deux femmes et deux hommes. C’était le cas avec la première sélection des postulants à la Commune d’Aubervilliers, d’où Didier Bezace partira fin décembre. Le choix retient Marie-José Mialis et Julie Berès pour les femmes, Yann-Joël Collin et Matthieu Roy pour les hommes. On apprend néanmoins, au dernier moment, que le favori, Christian Benedetti, a finalement été rajouté pour le sprint final. Ils ne sont donc plus quatre postulants mais cinq, dont trois hommes. Les principes sont ainsi élastiques ! On patientera pour nombre de nominations, qui seront révélées au fil des mois. Pour la Comédie-Française, le successeur de Muriel Mayette ne sera désigné qu’en 2014. Jusqu’à maintenant, deux décisions importantes ont été prises : en fait, des non-reconductions. D’abord, Jean-Marie Besset ne sera pas prolongé à la tête des Treize-Vents de Montpellier : il paye le fait d’avoir été nommé par Frédéric Mitterrand. Bien que, pour la mise en place d’une politique de service public, nous lui préférions Jean-Claude Fall – son excellent prédécesseur –, Besset, avec son partenaire Gilbert Désveaux, n’a pas démérité. Leurs créations et leur programmation ont été honorables. Ensuite, Jean-Louis Martinelli n’est pas reconduit à la tête des Amandiers de Nanterre. Aurélie Filipetti argue d’un principe nouveau : les directeurs ne pourront pas dépasser, au mieux, trois mandats de trois ans. Le passé aurait tendance à prouver que de grands directeurs, de Dasté à Vincent, ont fait du beau travail sur de plus longues distances Et Martinelli a été, est toujours, un brillant directeur des Amandiers. D’ailleurs, le maire de Nanterre, Patrick Jarry (apparenté PCF), proteste fort et demande à être reçu par la ministre, qui a oublié de le consulter.

En fait, l’étude des situations s’impose au cas par cas. Au théâtre national de Nice, Daniel Benoin ne se représente pas seul, mais en tandem avec Zabou Breitman. Un tandem mixte, du jamais vu ! « Nous avons fait un projet spécifique, nous représentons la parité absolue, et les collectivités nous soutiennent », dit Benoin. À Tours, l’État souhaite le départ de Gilles Bouillon, alors que le ministère ne finance le centre dramatique régional qu’à 25 % ! « J’ai attendu treize   ans une nouvelle salle et on voudrait m’empêcher de parachever ce que j’ai commencé récemment », répond Bouillon. Comme nous le dit l’un de nos interlocuteurs, « Aurélie Filipetti n’a pas d’argent ; sa seule façon d’affirmer une politique, c’est de procéder à des nominations ». En fait, il faudra compter avec les collectivités territoriales, qui investissent de grands moyens et ont été sous-estimées. Avec elles, les discussions et même la guerre ne font que commencer.

Théâtre
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