Allemagne : Qui a encore peur du SPD ?
Les sociaux-démocrates fêtent leurs 150 ans à l’approche d’élections incertaines. De Berlin, par Rachel Knaebel.
dans l’hebdo N° 1254 Acheter ce numéro
Inviter un président de la République française socialiste pour fêter les 150 ans du parti social-démocrate allemand, c’est évidemment tout un symbole à quelques mois des législatives en Allemagne. En donnant le micro à François Hollande, ce jeudi 23 mai à Leipzig (Saxe), le SPD veut montrer à ceux qui en doutent outre-Rhin que la gauche peut encore gagner des élections et gouverner en Europe. Mais les sociaux-démocrates allemands sont-ils encore de gauche ?
Plus ancien parti « socialiste » d’Europe, le SPD n’a plus grand-chose à voir avec l’Association générale des travailleurs allemands fondée en 1863 par Ferdinand Lassalle. Le parti avait déjà rompu avec le marxisme en 1959 (dans une Allemagne coupée en deux et en pleine guerre froide) au congrès de Bad Godesberg. Depuis, la politique de dérégulation du marché du travail menée par Gerhard Schröder de 2002 à 2005 a clairement placé le SPD dans la ligne de la « troisième voie » du Britannique Tony Blair [^2]. Aujourd’hui, le parti allemand profite même de son anniversaire pour créer une structure alternative à l’Internationale socialiste (pourtant dirigée par Willy Brandt de 1976 à 1992), aux réunions de laquelle le SPD ne va plus participer qu’en qualité d’observateur. La nouvelle organisation s’appelle Alliance progressiste et elle pourrait accueillir jusqu’aux démocrates états-uniens. Le lancement de cette nouvelle internationale, plus rose que rouge, s’inscrit dans l’offensive du SPD pour revenir aux affaires à l’automne. « Je veux devenir chancelier », insistait au dernier congrès du parti, en avril, Peer Steinbrück, candidat désigné pour les prochaines législatives. Pourtant, les sondages d’opinion placent aujourd’hui le SPD loin derrière la droite avec environ 26 % d’intentions de vote, contre 40 % pour le parti conservateur d’Angela Merkel (CDU) et son allié de Bavière (CSU). Pour gouverner après les élections du 22 septembre, le SPD mise donc sur une coalition avec les Verts (autour de 14 % dans les sondages), tout en excluant une coopération avec le parti de gauche Die Linke. Les sociaux-démocrates veulent renouveler l’expérience de Gerhard Schröder et Joschka Fischer, à la tête de la coalition rouge-verte de 1998-2005, mais sur une base politique plus sociale. Car les lois dites Hartz, lancées il y a dix ans par Gerhard Schröder, avaient conduit à une baisse sévère des allocations-chômage et facilité les bas salaires et temps partiels, notamment ceux des « minijobs » à 400 euros. Aujourd’hui, après quatre ans dans l’opposition et alors que plus d’un cinquième des travailleurs touchent moins que le Smic français, le SPD a changé son fusil d’épaule. Le parti veut instaurer un salaire minimum interprofessionnel à au moins 8,50 euros brut de l’heure. Et Peer Steinbrück a pris dans son équipe de campagne l’un des fervents opposants à la politique de Schröder et à la réforme des retraites de 2007 (avec un recul de l’âge légal de 65 à 67 ans) : le syndicaliste Klaus Wiesehügel.
Le candidat à la chancellerie prend aussi ses distances avec la politique européenne de Merkel. « La médecine de crise prescrite par l’UE a entraîné beaucoup d’États dans une situation encore plus grave, juge-t-il. Elle a fait grossir encore plus les dettes nationales par rapport aux PIB et conduit à une hausse record du chômage. » La position est toutefois difficile à tenir pour un SPD qui a accompagné les décisions européennes de la chancelière depuis le début de la crise de l’euro. L’été dernier, à quelques exceptions près, les députés SPD et Verts ont par exemple voté, aux côtés de la droite, pour le nouveau pacte budgétaire européen. Plus largement, Peer Steinbrück n’est pas le choix d’une opposition radicale à l’actuel gouvernement. L’économiste de formation a été le ministre des Finances de Merkel pendant la « grande » coalition entre les conservateurs et les sociaux-démocrates, de 2005 à 2009. Et la révélation de ses revenus, à l’automne, l’a définitivement placé très loin de l’Allemand moyen. Entre 2009 et 2012, le candidat du SPD a gagné 1,2 million d’euros en honoraires pour des conférences en Allemagne et au Royaume-Uni, soit une moyenne de 15 000 euros par intervention. Peer Steinbrück a même jugé le salaire de la chancellerie trop bas par rapport à ceux des dirigeants du privé. Les conservateurs n’ont pas manqué de faire remarquer qu’Angela Merkel, elle, ne s’en était jamais plainte.
[^2]: Le SPD a aussi perdu beaucoup de ses adhérents : d’un million, en 1976, à 470 000 aujourd’hui. Il reste tout de même, avec la CDU, l’un des deux plus gros partis du pays en nombre de militants.