Beytout le fou
Le patronat ne lui a distribué que douze millions, soit un millième du budget de Politis.
dans l’hebdo N° 1254 Acheter ce numéro
Alors je sais pas toi, mais moi, franchement, je trouve ça plutôt bien, qu’il y ait encore, dans ce pays, des hombres avec d’ananasesques couilles multicourageux – genre des chauds des yeux qui vont pas se laisser bâillonner, oooh non, mon ami(e), crois-moi, t’as pas fini de les entendre gueuler que la société les aura pas. Nous, par exemple, chez Politis ? Je dirais pas du tout qu’on est des téméraires – bien au contraire [^2]. Ça me fait de la peine de l’écrire comme ça, mais faut quand même reconnaître qu’on a choisi la facilité, comme disait Kravtchenko : on est là, peinard(e)s, qu’on klaxonne semaine après semaine la doxa du moment – et vazy que je t’attaque les tromps, et vazy que je te flatte les prolos –, ça se foule pas, putain, je parie qu’au train qu’on va on en sera bientôt à recopier directement les communiqués bolchevistes de l’Élysée.
Mais, en vrai, pourquoi qu’on se gênerait-ce, je te prie-je, vu qu’on est si commodément gondé(e)s dans la (bien-)pensée dominante,et que du coup on se gave fort grave, façon il pleut des thunes, bergère, tends ta blanche sébile ? (Tu veux vraiment que je te raconte comment que les milliardaires yankees défilent tête basse dans le bureau du chef Sieffert pour le supplier de les laisser entrer au kapital – ou si tu devines le topo ?) C’est pas très glorieux, j’admets, mais à côté de ça, comme je disais : t’as encore des gars, lestés façon Miura, qui osent aller contre ce mièvre conformisme. Par exemple : Nicolas Beytout. J’étais comme toi : je croyais pas du tout qu’on pouvait le ranger dans le rayon des rebelles with a cause, Nicolas Beytout. En le voyant, j’aurais plutôt dit : tiens, voilà encore un de ces journaleux qui se sont tôt spécialisés dans la récitation de psaumes crypto-gouvernementaux, tu vois le style ? Or : point. Nicolas Beytout vient de se lancer, lis-je (un peu partout dans la presse), dans la merveilleuse « aventure » d’un « nouveau journal » – et c’est déjà, en soi, incroyablement courageux, surtout quand on sait que ses potes du patronat ne lui ont distribué que douze tout petits millions d’euros (soit un minuscule millième du budget hebdomadaire de Politis ).
Mais le plus sidérant est qu’il a fait le « pari fou » d’adopter – nonobstant qu’ « on » lui « a beaucoup dit : un média libéral n’a pas bonne presse en France, surtout ne l’affichez pas car la France n’est pas un pays libéral ; d’ailleurs ce courant est minoritaire, même à droite [^3] » – une « ligne éditoriale » qui va d’évidence lui aliéner 99,9 % des oligarchies françousques, puisqu’elle sera – accroche-toi au siège – « pro-business, européenne et libérale ». Et, comme je disais, je trouve ça plutôt cool que le mec hurle si fort fuck the power(s) – mais j’ai peur que, débordé par sa rage, il n’oublie toute mesure et ne se laisse finalement aller à réclamer aussi qu’on réduise la dépense publique, et qu’on réforme les retraites. Alors prévenons-le gentiment : fais gaffe quand même, Nico, ça serait dommage que tu te grilles avec tout le monde.
[^2]: Si tu veux encore des rimes de compète pour Noël, pense à me les commander avant le 15 juin : après, je livre plus.
[^3]: Propos authentiques. Source : le Nouvel Économiste.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.