Des cours en anglais à l’université ?

Un enseignement en anglais est prévu dans la loi sur les universités. Pour Jean-Yves Le Déaut, ce serait un gage d’attractivité pour l’enseignement supérieur français. Selon Pouria Amirshahi, cela met en danger la francophonie et l’exception culturelle défendue par la France.

Olivier Doubre  • 30 mai 2013 abonné·es

Illustration - Des cours en anglais à l’université ?

Je suis favorable à la proposition, inscrite dans la loi actuellement en débat devant le Parlement, de faire certains enseignements dans une langue étrangère à l’université. Cela ne veut pas dire que tous ces cours seront en anglais, même s’il ne faut pas se cacher que cette langue étrangère sera souvent l’anglais.

La première raison est qu’il s’agit de faire cesser une hypocrisie : aujourd’hui, dans les grandes écoles et certaines universités françaises, on contourne la loi Toubon ! Celle-ci avait certes admis déjà quelques exceptions (quand l’objet de l’enseignement est une langue étrangère ou quand les enseignants sont étrangers), mais avait posé haut et fort le principe que, dans l’enseignement supérieur français, pour les diplômes et les thèses, la langue employée est le français.

Ne pas faire évoluer la situation avec une nouvelle loi, c’est donc admettre que la loi n’est pas respectée dans ce pays. Aussi propose-t-on deux exceptions complémentaires : seraient désormais acceptées une dérogation en cas de convention internationale entre une université française et un partenaire étranger, et une dérogation sur la langue d’enseignement lorsqu’il y a des financements européens (comme les programmes Erasmus par exemple). Il ne s’agit donc en aucun cas d’une généralisation des cours en langue étrangère.

Ensuite, nous avons mis deux garde-fous. Le premier dit que l’on ne peut pas enseigner totalement en langue étrangère (alors que, dans certaines écoles, des formations sont entièrement en anglais). Le second précise que, lorsqu’un étudiant étranger arrive en France, il doit apprendre le français et que cet apprentissage sera pris en compte dans son diplôme.
Enfin, et c’est là l’amendement de mon collègue et ami Pouria Amirshahi, il faudra que la langue utilisée ait un rapport avec le contenu pédagogique, ce qui met une certaine limite afin de ne pas faire n’importe quoi. On pourra, par exemple, opposer cette notion à une école qui ­n’enseignerait qu’en anglais sans se soucier de l’apprentissage du français, et sans que son enseignement en anglais soit justifié par son contenu pédagogique.
Mais, plus largement, je suis pragmatique. Je suis un défenseur de la francophonie, j’ai vécu en Afrique, à Madagascar, en Tunisie. Et je trouve que la meilleure défense de la francophonie est de permettre à des étudiants étrangers de venir en France. Or, si ces étudiants ne sont pas francophones, il leur faut une période de transition, et la meilleure transition, c’est de leur permettre pendant un temps de parler leur langue. S’ils aiment notre pays, sa culture, sa langue, ils apprendront celle-ci et resteront sans doute en France par la suite !

Par ailleurs, je tiens à répondre à l’accusation disant que cette mesure serait un mauvais signal. Le mauvais signal pour les étudiants étrangers, c’est d’abord de mal les accueillir, de les soumettre à des conditions drastiques d’obtention des visas, à faire la queue devant les consulats et les préfectures. Tout cela est pire que de savoir dans quelle langue ils vont suivre leurs cours !

On a aujourd’hui en France 7,5 % d’étudiants étrangers. C’est un taux honorable, mais on peut faire beaucoup mieux. Et on est très loin du taux des États-Unis. Notamment vis-à-vis des étudiants d’Afrique qui vont bien plus aux États-Unis aujourd’hui qu’en France. Alors, pourquoi vont-ils outre-Atlantique ? Ce n’est pas à cause de la langue, mais à bien cause des visas… La circulaire Guéant a été le plus mauvais signal qu’on pouvait donner ; ce n’est certainement pas l’actuel projet de loi devant le Parlement ! 

Illustration - Des cours en anglais à l’université ?

Le globish (1) de 500 mots n’a nul besoin d’être enseigné : il est de plus en plus maîtrisé par usage sur les cinq continents. Quant à la promotion du « all thought in english », c’est une démonstration de force du « soft power » du capitalisme anglo-saxon. Avec un peu de volonté et d’imagination, nous pouvons ouvrir une nouvelle ère.

L’argument de l’attractivité ne tient pas. Il existe plusieurs millions d’apprenants français répartis entre le Brésil, la Turquie, les États-Unis, la Chine, les pays du Golfe, etc. Quel choix insensé de proposer des formations en anglais, alors que le français est la deuxième langue enseignée dans le monde ! Et puis l’attractivité de la France n’a pas tant souffert d’un manque d’offres en anglais que d’une politique d’immigration paranoïaque. Être accueillant, cela se cultive, et il vaut mieux accueillir chez soi dans sa langue.
L’argument de l’apprentissage de l’anglais ne tient pas. Les inscrits dans ces filières « all in english » maîtrisent déjà cette langue en y entrant. C’est donc à l’école que cela se passe, avec des cours de langues enfin dignes de ce nom. Plutôt que de payer des profs anglo-saxons, développons Erasmus, qui facilite l’apprentissage en immersion. Car la modernité pédagogique, c’est le bilinguisme. Enfin, pourquoi ceux qui déplorent notre niveau en anglais ne commencent pas par diminuer les doublages pour favoriser la diffusion des œuvres en VO sous-titrées ?

L’argument (obsessionnel) de la compétitivité ne tient pas. Offrons le multilinguisme. Par internationalisme, puis par intérêt : il faut former des jeunes pour aller dans des pays arabophones, sinophones, hispanophones, etc. Là où existent d’extraordinaires potentiels de développement et de magnifiques richesses culturelles.

L’argument de la triangulation francophone ne tient pas. Accueillir des étrangers en anglais n’en fait pas des francophones. La plupart des gens formés en anglais traversent un « tunnel anglophone », car la familiarité avec la langue française se résume aux nécessités du quotidien. De plus, ils ne créent pas d’entreprises en France…

L’argument du réalisme (« nous n’avons pas le choix ») ne tient pas. Ceux qui le doivent maîtrisent déjà l’anglais spécifique à leur discipline. La question est : faut-il encourager cet état de fait ? Avons-nous l’ambition, dans les dix ans, de construire une revue scientifique francophone internationale traduite dans toutes les langues qui comptent ? De diffuser des normes, de poser des brevets ?
L’argument d’exception (« cela ne concernera que 1 % des formations ») ne tient pas. Soit il confirme qu’améliorer la maîtrise des langues par les étudiants de France n’était qu’un prétexte ; soit il fait montre, au mieux, de naïveté, car partout ailleurs en Europe on a assisté à une colonisation des troisièmes cycles par l’anglais. Cette erreur est pointée du doigt dans tous les pays. Ne commettons pas les mêmes aberrations. Portons un ambitieux projet francophone. Cela signifie une belle alliance stratégique, de Montréal à Abidjan en passant par Bruxelles, Alger, Rabat, Tunis, etc. Avec un Erasmus francophone, des moyens pour TV5 ou l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) ; un « visa francophone » pour la mobilité des étudiants, scientifiques, artistes, chefs d’entreprise…

Le plurilinguisme, une réponse à la standardisation du monde. Tout est dans l’énoncé. Et dire que nous proclamons le droit à l’exception culturelle…

Clivages
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