Festival Visions du réel : À voir à la télé… peut-être

Visions du réel, à Nyon, a donné lieu à une édition soutenue. Aux chaînes de diffuser les œuvres.

Jean-Claude Renard  • 2 mai 2013 abonné·es

Aux confins du Nord canadien. Sherman est un marginal. Ramassant des palourdes la journée, travaillant seul dans une pêcherie industrielle la nuit. Sans échanger un mot au quotidien. Night Labor, de David Redmon et Ashley Sabin, est un film sonore. Sans commentaire. Au plus près des gestes, les réalisateurs ne laissant entendre que les borborygmes de leur personnage, son souffle, ses paroles brèves marmonnées, le bruit de ses besognes, de ses pas, de ses mouvements.

Formellement époustouflant, poétique, le film se veut contemplatif, prenant son temps. Au diapason de la Piedra, de Victor Moreno Rodríguez, brut de décoffrage, dépourvu de commentaire encore, film arrimé au travail d’un tailleur de pierre, peut-être bien sculpteur, saisi dans un no man’s land, celui d’un paysage désertique puis d’un atelier. Où l’acier d’un burin ou d’un marteau vient buter, cogner la pierre. Un dispositif minimaliste qui voudrait que rien ne se passe et que tout recommence dans ce labeur sisyphéen, patiemment. Irrémédiablement. Autre film sur le temps, Il turno, de Pietro De Tilla, Elvio Manuzzi et Tommaso Perfetti, concentrant leur caméra sur la gestuelle des employés exerçant à l’écart du monde, dans le refuge d’un barrage, en Lombardie. On y prépare le café, on y remplit les registres officiels avec les données du jour. Il n’y a guère que la télévision allumée pour manifester un ailleurs. Jusqu’à la prochaine relève. Tandis qu’au fond de la vallée un autre menu peuple accomplit ses gestes ancestraux de paysans montagnards.

À 180 kilomètres de São Paulo, le village de Catuçaba se veut un autre théâtre, loin de la frénésie des villes, immergé dans un temps suspendu, traversé par les fêtes religieuses et la musique, peuplé de personnages baroques, saisis sobrement par Jorge Bruno. Comme cette population andine filmée par Pier Paolo Giarolo dans Des livres et des nuages, perchée dans l’Altiplano s’habillant de-ci de-là de bibliothèques rurales, véhiculant à travers les livres les légendes et la culture. Ce sont là quelques-uns des films projetés au festival Visions du réel, un grand cru. Certains passeront à la trappe, d’autres seront diffusés sur le petit écran. C’est pour cela que des représentants des chaînes allemandes, belges et françaises se rendent à Nyon, en Suisse. Où peuvent se jouer les acquisitions, les coproductions. On y vient travailler en amont avec les producteurs, chercher des financements à l’international. On y voit notamment déjà la participation d’Arte pour Des livres et des nuages ou Dayana mini market, de Floriane Devigne, récit en légèreté d’une famille sri-lankaise à Paris, expulsée de son logement, recluse dans l’étroitesse de son épicerie. Voilà deux ans, à Nyon, Monsieur M, 1968, d’Isabelle Berletti et Laurent Cibien, avait été l’une des bonnes prises de Luciano Rigolini, chargé de la case « La Lucarne » sur Arte. Comme Matthew’s Laws, de Marc Schmidt, dans l’édition 2012. Cette année, ce pourrait être The Art of disappearing, de Bartek Konopka et Piotr Rosolowski, puisant dans les archives des années 1980, sur un rapprochement entre l’agonie de la dictature haïtienne de Duvalier et celle du régime communiste polonais.

Les chaînes viennent ici prendre le pouls , renifler les œuvres, quêter les curiosités pour nourrir leurs grilles. « Juste pour voir, pas pour acheter », dit Anna Glogowski, conseillère de programmes à l’unité documentaire de France Télévisions. Dans cette plateforme de rencontres, il ne s’agit pas seulement « de voir ce qu’on peut faire mais aussi ce qu’on ne peut pas faire », précise-t-elle. Assister aux séances de pitching, qui consistent, pour un producteur ou un réalisateur, à présenter un projet de film en un laps de temps très court, participe de cet état d’esprit. Un exercice, ou plutôt un passage obligé pour les auteurs, dans la mesure où décrocher le financement d’une chaîne garantit souvent la réalisation. Avec l’idée, pour la chaîne alors présente, « d’entrer dans un projet en chantier, de l’accompagner », observe Luciano Rigolini. Parmi les projets en construction, certains ont déjà séduit, même si « rien n’est acquis »  : un sujet sur la dépression, un autre sur les chimpanzés dénaturés par l’homme, ou encore le deuil d’une déception amoureuse. Au cours des éditions précédentes, c’est à Nyon qu’avaient été présentés Chronique d’une mort annoncée ou encore The Gatekeepers (Arte) et Cinq Caméras brisées (France 5).

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