Gaz de schiste : le mirage gazier du Medef

Laurence Parisot réclame de nouveau l’exploitation des potentiels gisements français. Benjamin Dessus démontre la vanité d’un tel projet.

Benjamin Dessus  • 2 mai 2013 abonné·es

Comment réindustrialiser la France ? Laurence Parisot, présidente du Medef tient la solution : « Au-delà du pacte de compétitivité, que je salue, il y a une réponse très simple : explorons et exploitons dans notre pays les gaz de schiste […]. La réindustrialisation pourrait intervenir très rapidement […]. Pour avoir la même chance que les entreprises américaines, nous devons traiter la question du gaz de schiste [^2]. » Le Medef choisit de sortir du bois au moment où le groupe de travail du Débat national sur la transition énergétique, chargé de comparer diverses trajectoires énergétiques à l’horizon 2050, s’accorde sur la nécessité de faire décroître la consommation d’énergie des ménages, des entreprises et des services, pour espérer diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre en France, objectif inscrit dans la loi. Alors qu’aucun des arguments des défenseurs de l’environnement n’est à ce jour invalidé – ce qui justifie largement que l’on ne rouvre pas le dossier du gaz de schiste –, on entend curieusement fort peu porter la contradiction sur le terrain économique, tout aussi périlleux, n’en déplaise à Mme Parisot, dont les affirmations ne reposent sur aucune analyse sérieuse. Tout d’abord, à supposer que la présence de gisements significatifs soit confirmée en France, les conditions d’exploitation diffèrent très sensiblement par rapport aux États-Unis. Ce pays dispose de grandes étendues sans usage, la propriété du sous-sol et celle du sol y sont confondues, l’industrie du forage est très développée, des réseaux de gazoduc existent, et la fiscalité, très incitative, permet d’amortir les forages en un an seulement !

Une faille dans l’interdiction par la loi française de la fracturation hydraulique ? C’est le sens d’une saisine du Conseil d’État par le tribunal de Cergy-Pontoise, pour éclairer la plainte du groupe américain Schuepbach, qui s’estime lésé dans l’exploration du gaz de schiste. Entre autres arguments : la géothermie profonde, qui utilise une technique similaire, échappe à l’interdiction. Plus largement, l’absence de définition précise de la « fracturation hydraulique » pourrait conduire la justice à déclarer infondées les annulations prononcées contre des permis d’explorer.
En France, au contraire, la densité de population est quatre fois plus élevée, l’usage des sols fait l’objet d’une concurrence très forte, la législation régissant le sous-sol et l’environnement est beaucoup moins libérale, le réseau gazier est peu développé dans les zones intéressantes, l’industrie du forage n’est pas importante. Enfin, la France a signé des engagements de réduction des émissions à l’horizon 2020. Tout au plus les industriels du gaz de schiste peuvent-ils espérer atteindre, semble-t-il, des coûts d’extraction de l’ordre du double de ceux auxquels parvient l’industrie américaine pour assurer sa rentabilité. Il faut d’autre part prendre conscience de la fragilité spécifique de l’économie de cette filière. En effet, alors qu’un forage traditionnel de gaz naturel débite à flux presque constant du gaz pendant 40 ou 50 ans, un puits de gaz de schiste fournit 50 à 60 % de sa production totale dès la première année, 20 % à 25 % la suivante, et s’épuise pratiquement au bout de quelques années. Pour assurer un minimum de pérennité à la production, il faut donc être en mesure de réaliser, année après année, un nombre important de forages pour compenser l’épuisement des premiers. C’est le principe de la bicyclette : tant que l’on pédale, tout va bien, mais gare à la chute si l’on s’interrompt.

Cette caractéristique est évidemment source d’instabilité potentielle importante. L’amortissement très rapide de l’investissement, favorable à l’industriel (et exceptionnel dans le domaine de la production énergétique), se paye d’une totale imprévisibilité pour la collectivité nationale comme pour les clients potentiels de ce gaz. Aux États-Unis, le nombre de forages gaziers est tombé brutalement de 1 600 en 2008 à 700 en 2009 quand le prix du gaz a chuté de 40 % sous l’influence de la crise. Et la production ne s’est maintenue que parce que le nombre de forages de pétrole de schiste, qui coproduisent un peu de gaz, a de son côté régulièrement augmenté. Enfin, même en cas de succès, il est peu probable, vu les ressources potentielles, que la production de gaz de schiste dépasse 10 % des besoins de l’Union en 2030. On voit mal alors en quoi cela influerait sensiblement sur le prix indicateur du gaz (naturel) en Europe, et même en ferait un instrument de négociation avec la Russie. Il est bien plus probable que la rente éventuellement dégagée tombe, comme partout ailleurs, dans l’escarcelle des compagnies gazières plutôt que dans celle des consommateurs. On a beau chercher, sur le terrain économique où Mme Parisot veut nous entraîner, on ne voit vraiment pas ce qui peut rendre crédible l’opportunité de s’en remettre au gaz de schiste pour redresser rapidement l’industrie française, comme elle le prétend 

[^2]: AFP, 24 avril.

Écologie
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