Jean-Louis Laville : « L’association est un contrepoids au marché »
Dans un ouvrage actualisé, Jean-Louis Laville défend le rôle des associations dans les transformations de notre société.
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La dynamique associative revient au cœur de l’actualité depuis que le gouvernement a entrepris de redéfinir le cadre des relations entre l’État, les collectivités et les associations. Ces dernières se mobilisent depuis plusieurs mois dans une plateforme interassociative pour ne pas disparaître. Dans l’Association [^2], Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, théoricien français de la sociologie des organisations décédé en 2002, rendent compte de nombreuses études réalisées sur ce secteur qui joue un rôle économique et politique majeur dans notre société.
Le rôle de l’association dans nos sociétés est-il délaissé ?
Jean-Louis Laville : Au cours des deux derniers siècles, l’association a joué un rôle important dans la construction des démocraties modernes. Pourtant, ce rôle est peu reconnu. En témoigne la manière dont l’ensemble des débats économiques et politiques s’est condensé, pendant tout le XXe siècle, sur la seule alternative entre marché et État. C’est pour cette raison que nous avons entamé un travail, depuis une vingtaine d’années, sur l’étude des associations.
Le statut d’association est-il encore légitime dans nos économies ?
Ce qui est profondément actuel, c’est le fait qu’il y ait une capacité d’action collective au sein de la société civile. Et que cette capacité ait une dimension politique au sens fort du terme, au sens de la vie citoyenne, avec une traduction économique qui n’est pas négligeable, en particulier en termes de production de services. Là où l’association pèse le plus, c’est dans les champs qu’on pourrait qualifier de relationnels : l’action sociale, la santé, les services aux personnes, l’éducation populaire et le domaine culturel en font partie.
Ne sont-elles pas perçues comme un facteur de désengagement de l’État ?
La relation avec les pouvoirs publics est plus complexe qu’on ne l’envisage généralement. Les associations ont joué un rôle de révélateur dans la plupart des secteurs à une époque où il n’y avait pas de politiques publiques. Ce qui a suscité l’invention de la protection sociale, c’est l’existence de sociétés de secours mutuel au XIXe siècle [ancêtres des mutuelles, NDLR]. Ces expériences ont été la matrice de formes d’action collective qui n’auraient pu être imaginées autrement. Sur le long terme, la perméabilité entre l’action associative et celle des pouvoirs publics a conduit un certain nombre de chercheurs en sciences politiques à montrer comment cette interaction est difficile et jamais stabilisée.
L’association n’est-elle pas en repli dans ce contexte de crise et de plans d’austérité ?
Nous sommes dans la redéfinition d’un modèle avec plusieurs scénarios. Le premier est celui que l’on voit par exemple dans le domaine de la santé : certaines activités sont assurées par le service public et des prestations complémentaires sont fournies par les associations, lesquelles n’ont plus guère de pouvoir d’innovation. Cette forte standardisation accompagne les modes de régulation concurrentiels, avec l’implantation massive dans le service public comme dans les associations du New Public Management, c’est-à-dire de méthodes managériales importées du secteur privé. Le deuxième scénario est celui de l’enrôlement des associations dans une moralisation du capitalisme. Cette conception prend de l’ampleur depuis quelques années avec la notion de Social Business : les associations sont adossées à de grandes entreprises privées qui remplaceraient les pouvoirs publics exsangues. Cette tendance cherche aussi à légitimer une nouvelle philanthropie, considérée comme une innovation entrepreneuriale. Le troisième scénario est celui de la reconnaissance pleine et entière des associations. Est-on en mesure de passer de ce dualisme État-marché à une société plus respirable parce qu’elle permettrait d’intégrer pleinement la société civile comme un troisième pilier indispensable ? Dans ce scénario de démocratie et d’économie plurielles, les associations peuvent être à la hauteur de cette reconnaissance de la société civile. À condition qu’elles fassent un effort sur leur propre fonctionnement, en particulier qu’elles soient en mesure de mettre en place des procédures de démocratie participative et délibérative. Si l’on veut un contrepoids au marché, celui-ci ne peut être que citoyen. Le drame de la période actuelle est que les gouvernements ne s’appuient pas sur les initiatives citoyennes, pourtant très nombreuses. Et les citoyens sont si déçus du monde politique qu’ils le refusent globalement, alors qu’il n’y a pas d’autre solution démocratique qu’une articulation renouvelée entre pouvoirs publics et action citoyenne.
[^2]: L’Association. Sociologie et économie , Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, éd. Fayard, coll. « Pluriel », 440 p., 10 euros. Première édition : Sociologie de l’association éd. DDB, 1997.