La Maison d’os : Grandeur du déclin

Anne-Laure Liégeois redécouvre une œuvre méconnue, métaphore de la fin d’un monde, grinçante et absurde.

Anaïs Heluin  • 16 mai 2013 abonné·es

Colonnes imposantes, escalier monumental et toit rivalisant avec le ciel, la maison-décor conçue par la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois et le scénographe Yves Bernard a la grandeur des choses sur le déclin. Elle tombe en miettes, mais continue d’imposer sa loi aux hommes qui l’habitent. Une loi si tarabiscotée que les pauvres sont forcés de se faire contorsionnistes, acrobates en quête d’équilibre dans des ruines sens dessus dessous. Ils ne peuvent se révolter contre les fantaisies séniles de la demeure imaginée par Roland Dubillard en 1962 dans la Maison d’os  [^2], car celle-ci incarne tout un monde, toute une époque qui touche à sa fin.

Quelle époque, on ne saurait le dire. En se penchant sur cette pièce oubliée, Anne-Laure Liégeois a opté pour la création d’un lieu hors du temps, ou plutôt à mi-chemin entre plusieurs époques. Des cinq valets de la pièce, elle a fait des êtres formidablement ambigus qui ne cessent de s’agiter pour fuir leur propre absurdité. Étriqués dans des costumes ringards et gorgés de poussière, ils sembleraient appartenir à un passé bien révolu s’ils n’avaient dans la bouche un langage truffé de néologismes. Leurs jeux incongrus, leurs fêtes improvisées au milieu de l’incohérence de pierres les placent eux aussi dans une bulle onirique si fragile que, on le sent, ils pourraient la faire exploser à tout moment.

Mais, en subtils clowns dont la tristesse est d’autant plus apparente qu’ils font mine de vouloir la cacher, ils préservent toujours leur air de venir d’on ne sait où. Et c’est cela qui fait toute la force de cette Maison d’os. Car d’intrigue, il n’y en a pas à proprement parler. Juste un fil rouge comme la mort, celle du Maître incarné par un Pierre Richard bouleversant dans son jeu du chat et de la souris avec la Grande Faucheuse. Presque confondu avec les murs de sa demeure, ce personnage agit sur ses cinq serviteurs comme un chef d’orchestre en qui plus personne ne croit. Pourtant, tous continuent à suivre les mélodies bizarres commandées par le Maître. Avec la figure de qui n’est pas dupe et des mimiques de désespérés, mais tout de même. Presque chorégraphique par moments, la fuite en avant des valets soumis à un ordre sclérosé pose avec une douce insistance la question de l’après. Que faire, lorsque le Maître – ou le monde – passera l’arme à gauche ? Continuer de s’adapter à un univers qui fout le camp, comme l’ont fait jusque-là les domestiques, ou faire table rase ?

[^2]: Texte publié chez Gallimard.

Théâtre
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