« L’Esprit de 45 », de Ken Loach : Des couleurs à la classe ouvrière
Le film de Ken Loach est moins un hommage à un passé glorieux qu’un film encourageant.
dans l’hebdo N° 1252 Acheter ce numéro
L’esprit de 45, ce sont d’abord des images de liesse : en Grande-Bretagne, c’est la fin des bombardements et le retour des soldats. Il y a dans l’air un sentiment d’allégresse et la conscience d’être forts ensemble, de pouvoir changer la vie. « Un pour tous, tous pour un », proclamait alors un manifeste du Parti travailliste. Le documentaire de Ken Loach ne donne pas une leçon d’histoire mais ouvre une fenêtre sur une époque oubliée de l’autre côté du Channel, quand la classe ouvrière se sentait puissante et prête à d’autres victoires, après celle sur le nazisme.
Ken Loach fait le récit de conquêtes sociales inédites en s’appuyant sur des archives, souvent magnifiques, cadrées sur des visages dont on sent la renaissance après les souffrances. Et sur les témoignages de vieux travailleurs et syndicalistes, filmés eux aussi en noir et blanc, dont la mémoire remonte aux années 1930. Ceux-ci livrent des analyses historiques et politiques impressionnantes de justesse et d’humanité. De l’arrivée des travaillistes au pouvoir, avec Clement Attlee au poste de Premier ministre, à leur programme de nationalisations, le film déroule l’immense chantier accompli, avec ses héros – le ministre de la santé Bevan, qui a instauré la Sécurité sociale – et ses vicissitudes, parfois ses limites. Les destructeurs de ces avancées ne sont pas oubliés, Margaret Thatcher en tête, bien entendu, Ken Loach faisant l’impasse sur Tony Blair, l’absorbant dans la vaste entreprise de libéralisation inaugurée par la Dame de fer. Mais l’Esprit de 45 n’est pas un hommage nostalgique aux glorieux anciens. Au contraire, il est encourageant. Le film cherche à renverser le point de vue d’une classe ouvrière aujourd’hui trop peu sûre d’elle-même. Il veut lui redonner des couleurs. Comme il le fait, littéralement, avec quelques images d’archives auxquelles il rend, dans un dernier geste, leurs couleurs initiales.