Nathalie Péré-Marzano, du Crid : « Soutenir les dynamiques citoyennes »

Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale du Crid*, appelle à une rénovation plus marquée de la politique de développement.

Nathalie Péré-Marzano  • 9 mai 2013 abonné·es

On ne peut pas tout attendre d’un seul ministère, qui plus est d’un ministère « délégué », fût-il délégué au Développement. Et à l’échelle du développement, une année, c’est bien peu pour afficher des résultats durables. Tout au mieux, nous pouvons analyser les inflexions données par le ministre délégué, Pascal Canfin. La reprise du dialogue avec la société civile française pourrait caractériser cette première année de mandat, ce qui, au regard du mépris du gouvernement précédent pour ce type d’exercice pourtant normal dans toute démocratie, fait figure d’un nouvel état d’esprit bienvenu. Il se concrétisera par la création d’une nouvelle instance pérenne de dialogue entre pouvoirs publics et représentants de la société civile, le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale.

Ce dialogue pourra s’exercer à l’occasion du débat parlementaire sur la loi d’orientation et de programmation sur le développement, annoncée pour l’automne prochain, une occasion pour sortir ce sujet du pré carré des habituels spécialistes du développement, et lui donner une vraie dimension politique. La route est encore longue pour se défaire d’habitudes, sinon marquées d’une approche coloniale, tout du moins désespérément fondées sur l’intérêt de la France, qui cherche coûte que coûte à préserver son influence et ses débouchés. Ainsi, le discours de François Hollande en clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale, le 1er mars dernier, a-t-il mis l’accent sur le « soutien au développement économique et aux acteurs privés ». Or on sait que, sans régulation, le secteur privé n’a jamais démontré sa volonté d’agir dans le sens de la réduction des inégalités, d’une meilleure redistribution des richesses, de la préservation de la planète. En cette période d’austérité imposée, où le chômage bat de tristes records en France, quelle sera la réelle volonté politique du gouvernement actuel à opérer cette régulation, souvent taxée par les entreprises de « source de perte de compétitivité » ?

Le ministre a donné des impulsions intéressantes pour tenter d’élargir l’approche du développement au-delà de la traditionnelle coopération : par exemple en liant le développement à la nécessité de lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales, notamment celles de l’industrie extractive, qui prive les pays du Sud de milliards d’euros pour leur développement. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Et, à ce jour, l’évasion fiscale continue. Dans le même esprit, le ministre exprime sa volonté de croiser enjeux sociaux et problématiques environnementales, en rapprochant les agendas de travail des acteurs et administrations du développement avec ceux de l’environnement et du développement durable. Là encore, si l’intention est bonne, quels résultats en attendre si le socle commun s’appuie sur les priorités présidentielles et propose, outre l’appui au développement économique, le credo prétendument vertueux « sécurité-développement », et ignore toute référence à l’accès aux droits fondamentaux pour toutes et tous partout dans le monde. On touche là le point faible de ce bilan après une année de « ministère Canfin » : le changement et la rénovation d’une politique de développement ne peuvent faire passer au second plan les revendications de justice, de dignité, et donc de respect des droits qui s’expriment pourtant à travers le monde, et en particulier depuis le début du « printemps arabe ». Les soutiens financiers apportés à certaines initiatives de la « société civile », comme le Forum social mondial de Tunis, ou le doublement des fonds octroyés aux ONG d’ici à la fin du quinquennat cachent mal le manque de vision en matière d’accès des plus pauvres aux droits fondamentaux.

Face à la complexité des problèmes en jeu, aux questions posées en terme de démocratie, il serait extrêmement pertinent pour les pouvoirs publics de soutenir les nouvelles dynamiques citoyennes portées par la société civile, au Nord comme au Sud : renforcement de leurs capacités d’analyse, travail d’innovation et d’action dans le « vivre ensemble ». Ces dynamiques montrent le chemin pour que se tissent des liens de solidarité durables entre groupes de citoyens au-delà des frontières. Elles sont un laboratoire de gestion des biens communs et de mise en œuvre de logiques coopératives, qui sont autant d’alternatives au secteur privé lucratif et visent un développement juste, solidaire et durable. C’est par là que passera le changement structurel et démocratique de toute politique de développement.

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