Schiste : comment forcer le passage

Les multinationales ont largement inspiré les accords de libre-échange entre l’Union européenne, les États-Unis et le Canada.

Thierry Brun  • 30 mai 2013 abonné·es

Les lobbies pétroliers, qui souhaitent mettre à bas les moratoires et les lois interdisant la fracturation hydraulique pour extraire les gaz de schiste, notamment en France, ont largement inspiré le contenu des projets d’accords de libre-échange que l’Union européenne (UE) a décidé de négocier avec les États-Unis et le Canada. En particulier, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), dont les négociations avec les États-Unis devraient obtenir le feu vert des ministres européens du Commerce le 14 juin.

Les géants Total, Chevron, Shell, ExxonMobil, qui détiennent des concessions pour explorer les réserves de gaz de schiste en Europe, ont, avec certains lobbies représentant les multinationales d’autres secteurs, pour objectif de lever les obstacles législatifs à l’extraction de cette « énergie alternative ». En particulier dans le groupe de travail de haut niveau sur l’emploi et la croissance, mis en place en 2011 par l’administration Obama et l’UE. Ce groupe, présidé par Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce, et son homologue américain Ron Kirk, a travaillé discrètement sur cette question avec les partenaires officiels de ce processus, notamment le Dialogue transatlantique du monde des affaires (TABD). Ce puissant lobby travaille de concert avec le Dialogue économique transatlantique (TBC) ainsi qu’avec une alliance réunissant plusieurs fédérations d’entreprises et de chambres de commerce américaines et européennes, destinée à « assister les gouvernements pendant les négociations »  [^2]. « Ce que visent ces accords de libre-échange, c’est avant tout de créer des cadres qui protègent les entreprises au-delà du droit en vigueur dans les États signataires, dénonce Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre-France. Tous contiennent des dispositions leur garantissant l’accès aux marchés ou de protection des investissements. » Lors d’une consultation sur le partenariat transatlantique, organisée par le représentant américain au Commerce, un des hauts dirigeants du géant pétrolier américain Chevron a défendu le principe d’un « robuste régime de protection des investissements dans le PTCI  [qui] permettrait, ainsi qu’à d’autres entreprises américaines, de mieux atténuer les risques liés à des projets de longue durée à l’étranger ». La multinationale a rappelé qu’elle détient une gigantesque concession de gaz de schiste en Roumanie, qui est sous le coup d’un moratoire interrompant son exploitation, et souhaite l’inclusion d’un processus de « règlement des différends » entre les multinationales et les États, identique à celui de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena).

Une telle clause autorise les multinationales pétrolières à contester les normes environnementales et les interdictions de fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste : «   Si un État décide de durcir ses réglementations environnementales, une entreprise peut l’attaquer en justice   », précise Juliette Renaud. Selon Maud Barlow, présidente du Conseil des Canadiens, « les bases d’une zone de libre-échange américano-européen se trouvent déjà dans l’accord commercial entre l’UE et le Canada  [AECG, en cours de négociation, NDLR]. De même que le partenariat transatlantique, l’AECG espère éliminer environ 98 % des droits de douane sur la plupart des produits. Mais l’objectif général est de réduire les barrières dites non tarifaires, c’est-à-dire les réglementations nationales ». Celles-ci font l’objet de nombreux litiges entre multinationales et États. Par exemple, en vertu d’une clause de règlement des différends contenue dans l’Alena, la multinationale américaine Lone Pine Resources Inc. a contesté un moratoire sur la fracturation dans la province de Québec [^3]. En 2012, l’Équateur a été condamné à verser une indemnité de 2,3 milliards de dollars à Occidental Petroleum (Oxy) pour avoir suspendu un contrat d’exploitation en 2006.

[^2]: « Business Organisations Announce Alliance for a Transatlantic Trade and Investment Partnership », communiqué daté du 16 mai.

[^3]: Lire le Droit de dire non : l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne menace les interdictions de la fracturation hydraulique , Transnational Institute, Corporate Europe Observatory et Conseil des Canadiens, mai 2013.

Écologie
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