Cette gauche qui veut changer de cap
À l’occasion des Assises du 16 juin, ce qu’en attendent les principaux participants.
dans l’hebdo N° 1257 Acheter ce numéro
Marie-Pierre Vieu
La génération du « non » au TCE
Quand, pour justifier les Assises citoyennes du 16 juin, elle dit sentir « grandir une vraie envie de débattre » au sein des partis comme des luttes sociales, Marie-Pierre Vieu parle aussi d’elle-même. Membre de la coordination nationale du Parti communiste, en charge du Front de gauche depuis le congrès de février dernier, conseillère régionale de Midi-Pyrénées, elle fait partie de cette génération qui a découvert de nouveaux modes de pensée et d’action dans la campagne unitaire pour le « non » au Traité constitutionnel européen, en 2005. Depuis, elle ne veut plus refermer les fenêtres. Étudiante, elle préside l’Unef de 1994 à 1997. Intègre ensuite les bureaux du « Colonel-Fabien » – promotion Robert Hue – où elle monte progressivement dans l’appareil. Mais, au congrès qui suit l’échec des comités pour une candidature unitaire et le cuisant revers de Marie-George Buffet à l’élection présidentielle de 2007, elle plaide pour une « métamorphose » du PCF, allant jusqu’à conduire une liste alternative avec le courant des « refondateurs ». Signe de cette volonté de renouer les liens cassés avec les autres formations de la gauche radicale, elle sera, avant l’apparition du Front de gauche, l’une des rares personnalités communistes à signer l’appel de Politis pour une alternative à gauche.
Pascal Durand
Rapprocher EELV du Parti de gauche et du PCF
Pascal Durand fait irruption dans l’entourage des Verts il y a près de cinq ans, quand Daniel Cohn-Bendit lance Europe Écologie. Depuis, il se déclare sans faillir « au service ». Du mouvement, de la candidate à la présidentielle, du dialogue avec les alliés potentiels. Quand il s’avance sur scène, micro à la main et belle gueule, il a des airs d’animateur de colo chauffant son public. Pascal Durand, secrétaire national d’EELV depuis un an, n’est pas un carriériste, il ne donne jamais l’impression de vouloir la place des autres.
Mais ce discret est un faux consensuel. Sa voix embarque soudain sur une envolée et il dévoile la pâte de ses convictions. Écolo, Durand, mais pas né dans un chou. Son éducation politique, il la fait autour de la table familiale, petit-fils d’antifascistes italiens en fuite de l’Italie mussolinienne, fils de prolétaires niçois résistants et militants du PCF.
Quand le communisme dérape, avec l’intervention soviétique à Prague, les parents Durand rompent avec le parti. Le jeune Pascal en sort vacciné contre les appareils. Il cultivera cette distance dans le milieu libertaire, où il baigne dans l’écologie politique naissante. Un passage rapide chez les Amis de la Terre, « pas assez radicaux » : Pascal Durand veut de la radicalité révolutionnaire, il la trouvera au sein de l’Organisation communiste libertaire, qu’il quitte quand la mouvance autonome flirte avec la violence.
Pascal Durand émerge de ce bain avec la conviction que l’écologie politique est un dépassement historique des idéologies de gauche. « Si Jaurès était vivant, il serait écolo ! », dit-il. Alors, quand certains voient de l’opportunisme dans l’ouverture d’un Mélenchon à l’écologie, Durand y voit au contraire un cheminement inéluctable, ce qui fait de lui un des acteurs les plus désireux de cultiver un rapprochement entre EELV, le PG et même le PCF.
Marie-Noëlle Lienemann
Un front populaire
«Agir pour l’unité de la gauche » : le slogan de Gauche Avenir pourrait avoir été inventé pour les assises du 16 juin si le club politique de Marie-Noëlle Lienemann n’avait été créé en 2007, au lendemain de la défaite de Ségolène Royal à l’élection présidentielle. La sénatrice de Paris est l’une des animatrices de l’aile gauche du Parti socialiste. Cela fait des années qu’elle tente de rapprocher communistes, écologistes et membres du PS : « Nous militons pour la création d’un front populaire des forces de gauche, avec la mise en place de convergences pour entraîner les transformations les plus ambitieuses possibles, dans le respect de l’identité de chacun. »
Ancienne secrétaire d’État au Logement dans le gouvernement Jospin, Marie-Noëlle Lienemann anime également, aux côtés d’Emmanuel Maurel et de Jérôme Guedj, le courant « Maintenant la gauche ». Elle et ses camarades prennent régulièrement leurs distances avec la politique gouvernementale, notamment sur l’Europe. La sénatrice, qui a refusé de voter le projet de loi sur l’emploi, entend profiter des assises pour faire passer son message. Elle sait aussi que sa qualité d’élue socialiste pourrait fragiliser sa position et met en garde les autres participants : « Il ne faudra pas que l’on prétende exclure les proches du président de la République. »
Thomas Coutrot
Donner sa place au mouvement social
«La transition sociale et écologique n’est pas possible avec un seul changement par le haut, ni avec une simple modification de l’équipe gouvernementale. » Thomas Coutrot est coprésident d’Attac depuis 2009 et membre de son conseil scientifique depuis sa création. Il est également cofondateur de l’association des Économistes atterrés et refuse que les assises citoyennes laissent trop de place aux partis politiques.
L’économiste ne veut pas contribuer à la création d’un mouvement social uni « derrière une figure charismatique pouvant prétendre au pouvoir ». Il voit davantage le rassemblement comme une façon de redonner « espoir » aux citoyens qui partagent la même inquiétude face à la politique du gouvernement Ayrault. Les assises devront contribuer à construire des « contre-pouvoirs » explique-t-il : « Un nouveau gouvernement ne ferait pas grand-chose ou n’irait pas dans le bon sens s’il n’était pas poussé par une forte mobilisation sociale. »
Le coprésident d’Attac se félicite cependant de la création de cet espace de dialogue. Il espère que les débats se tiendront dans un esprit de considération mutuelle : « Il faut que chaque acteur apprenne à respecter les autres, à comprendre la complémentarité de nos démarches et de nos rôles respectifs.»
Corinne Morel Darleux
Une recherche de radicalité sociale et écologique
Elle fait partie de ces militants dont l’engagement tardif n’a fait que renforcer les convictions. Dans une autre vie, Corinne Morel Darleux animait des séminaires stratégiques pour des mastodontes du CAC 40 – Sanofi, EDF, Total, Renault… L’expérience a largement forgé sa prise de conscience : « J’ai vu de l’intérieur comment ça fonctionnait… » Elle démissionne et rejoint le service éducation de la ville des Lilas (93). Contact avec la misère des familles, les SDF : le contraste est vertigineux. Elle adhère au mouvement Utopia, implanté chez les écologistes et dans des partis de gauche. Corinne Morel Darleux choisit d’entrer au PS pour porter la radicalité écologique, sociale et économique de la motion Utopia au congrès socialiste de 2008. Elle quitte le parti au bout d’un an, rebutée par son fonctionnement. Jean-Luc Mélenchon se prépare à fonder le futur Parti de gauche, elle en sera. Le potentiel révolutionnaire de son appel la séduit, notamment sur le versant écolo. « Il invitait les décroissants à le rejoindre. »
Corinne Morel Darleux avait auparavant un peu côtoyé les Verts. Des reculs sur le plan social et une critique insuffisante du système économique l’ont déçue. Aujourd’hui, elle considère avec intérêt les liens nombreux tissés sur le terrain entre militants PG et EELV, et, plus récemment, l’opposition montante du parti écologiste à la politique du gouvernement.
Pierre Khalfa
Décloisonner partis et mouvements
Pierre Khalfa ne veut plus attendre. Le 5 mai, lors de la marche citoyenne pour la VIe République, il n’a pas caché ses intentions : « Il faut commencer à créer [les] convergences nécessaires pour pouvoir changer les choses. » Et c’est avec le Front de gauche, formation dont il est membre « non encarté », que le coprésident de la Fondation Copernic entend favoriser ces convergences. Il entend dépasser la séparation traditionnelle entre mouvements sociaux et partis politiques : « Leur indépendance est un acquis, mais cela ne doit pas non plus signifier l’isolement. On ne peut plus être dans une position uniquement défensive. Il faut désormais porter un projet global », assure le fondateur, en 1988, de SUD-PTT et toujours membre du conseil scientifique d’Attac.
Pierre Khalfa estime que les assises citoyennes seront une étape de plus dans le « processus » engagé le 5 mai. « Il s’agira d’un lieu de débat pour tous ceux qui pensent que la politique de François Hollande nous mène dans le mur. » Il se dit prêt à dialoguer avec l’aile gauche du PS, même s’il juge « néfaste » l’influence de ce dernier sur les « transformations » qu’il entend accompagner. Les assises serviront aussi à mettre en lumière les points communs des forces en présence : « On essaie de créer un cadre de mobilisation. Il servira quand il faudra agir sur la question des retraites. »