Convergences et divergences
Si toutes les formations présentes aux Assises citoyennes le 16 juin sont d’accord pour refuser l’austérité, elles sont loin d’avoir les mêmes points de vue sur les politiques à mener pour conduire le changement.
dans l’hebdo N° 1257 Acheter ce numéro
Ils avaient refusé la ratification du traité budgétaire européen. Une vingtaine d’organisations politiques de gauche, syndicales, associatives, ainsi que quelques personnalités, se retrouvent dimanche à Montreuil pour débattre et, surtout, escomptent les organisateurs de ces Assises citoyennes, « créer les convergences nécessaires à un changement de cap en France et en Europe ». Celles-ci se sont déjà manifestées dans quelques votes à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Le 28 mai, les députés EELV et ceux du Front de gauche ont voté contre la loi Fioraso sur l’enseignement supérieur. C’était la première fois que l’ensemble des députés écolos s’opposaient unanimement à un texte gouvernemental. Auparavant, les élus des deux groupes, rejoints parfois par des socialistes de la gauche du PS, avaient déjà bataillé ensemble contre le crédit d’impôt de 20 milliards d’euros accordé aux entreprises sans conditions, pour une séparation plus stricte des activités bancaires, contre la transcription servile de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, pour l’amnistie sociale, le retour à une circonscription nationale unique aux européennes, la proportionnelle aux élections départementales… Ces rapprochements ne sauraient toutefois masquer que, dans un passé pas si lointain, les divergences entre les formations politiques participant aux assises de dimanche l’emportaient sur les convergences. Le NPA s’est ainsi constamment tenu à distance du Front de gauche, refusant toute alliance électorale avec ce dernier, ce qui a occasionné dans ses rangs plusieurs vagues de départs et une hémorragie militante. Entre EELV et l’alliance constituée autour du Parti communiste et du Parti de gauche, qui rassemble désormais neuf formations [^2], les polémiques n’ont pas manqué non plus. Sur l’Europe, notamment, les figures du parti écolo, dont Eva Joly, ont souvent accusé les leaders du Front de gauche de verser dans le « souverainisme ». Tout récemment encore, EELV a majoritairement refusé de participer à la marche initiée par Jean-Luc Mélenchon contre l’austérité, la finance et pour la VIe République, le 5 mai, malgré la présence de sa candidate à la présidentielle. Un refus motivé alors par des divergences tant programmatiques que stratégiques. Quelques jours plus tard, le conseil fédéral d’EELV réclamait toutefois, à la quasi-unanimité, « un changement de cap rapide et significatif [qui sorte] de la politique gestionnaire à courte vue appliquée aujourd’hui » (voir Politis n° 1255). « Changer de cap », c’est aussi l’expression employée par le communiste Pierre Laurent. Passé le refus partagé, et de plus en plus consensuel, des mesures d’austérité, les politiques à mener pour conduire ce changement seront débattues ce dimanche à Montreuil. État des lieux.
Les institutions
Les retraites
Sur ce dossier qui va occuper la vie politique et sociale des prochains mois, le Front de gauche est hostile à toutes les pistes du gouvernement. Comme en 2010 et durant la campagne présidentielle, il continue de réclamer le rétablissement du droit à la retraite à 60 ans à taux plein pour tous, la revalorisation des petites retraites, dont aucune ne devrait être en dessous du Smic, et refuse tout allongement de la durée de cotisation. Justifier celle-ci par l’augmentation de l’espérance de vie est, pour Jean-Luc Mélenchon, un « mensonge ». « Si on vit plus longtemps, c’est bien parce qu’on travaille moins longtemps », répète-t-il, non sans accuser François Hollande de répéter ce que disent le Medef et la droite depuis vingt ans. La position d’EELV est beaucoup plus conciliante. Le parti écolo juge « nécessaire » la réforme annoncée par le gouvernement. Le texte adopté par son conseil fédéral d’EELV le 26 mai souhaite toutefois que celle-ci « prenne en compte la pénibilité […] et écarte une augmentation de l’âge légal, qui ne pénalise que ceux qui ont commencé à travailler tôt ». Mais il ne ferme pas la porte à une augmentation de la durée de cotisation.
Marché transatlantique
C’est l’autre grand dossier du moment. Alors que le Conseil européen doit définir ces jours-ci le mandat de la Commission européenne dans les négociations sur un Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) avec les États-Unis, les « rouges » et les « verts » campent sur des positions voisines. Quand le Parti de gauche (PG) refuse dans un tract la perspective d’une « Europe américaine », le vert Noël Mamère clame sur son blog son opposition à « l’Otan de l’économie ». Les députés européens du Front de gauche comme ceux d’EELV ont voté contre la résolution du Parlement européen sur cet accord de libre-échange UE-États-Unis. Jugeant la préservation de l’exception culturelle marginale au regard des implications d’un tel accord, ils estiment qu’il ne faut pas négocier. Un point de vue défendu également par le courant d’Emmanuel Maurel, qui avait déposé avec les « hamonistes » un amendement en ce sens pour la convention du PS sur l’Europe, avec notamment cet avertissement : « La mise en œuvre de l’accord transatlantique va à l’encontre du projet d’une Europe forte et indépendante dans un monde multipolaire. »
Transition écologique
Sur ce point crucial pour l’avenir de la planète, le clivage est d’abord au sein du Front de gauche. Le PG veut substituer « la règle verte » à la règle d’or des libéraux ; il a adopté à son congrès un « Manifeste pour l’écosocialisme », discuté avec de nombreux courants et personnalités de l’écologie radicale grâce à l’entregent efficace de Corine Morel Darleux. Si la Fase et deux des formations dissidentes du NPA (Convergences et alternative et la Gauche anticapitaliste) manifestent de l’intérêt pour cette orientation, le PCF n’a jamais pris part aux discussions sur ce nouvel horizon radical. Quand une partie du Front de gauche participe aux mobilisations antinucléaires et milite contre les grands projets inutiles, le PCF ne s’y joint pas. Signe d’une lente évolution : plusieurs de ses fédérations se déclarent hostiles au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ; et sa direction a sèchement rappelé à l’ordre ceux qui dans ses rangs n’excluaient pas une exploitation « propre » des gaz de schiste.
Stratégie
C’est sur ce point que les participants aux Assises font le plus grand écart. Membres du gouvernement, où ils sont représentés par Cécile Duflot, ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, et Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, les écologistes EELV estiment pouvoir influer dans la majorité et n’entendent pas en sortir, pour l’instant. Le parti écolo a même réitéré récemment son souhait de voir quelques représentants du Front de gauche l’y rejoindre à l’occasion du remaniement annoncé afin de « peser au mieux sur les trajectoires des orientations françaises et européennes » . Un souhait partagé par Gauche avenir, le club de Marie-Noëlle Lienemann, qui milite pour « une majorité rouge, rose, verte ». Pour l’ensemble des formations du Front de gauche, cette perspective est toutefois inenvisageable. Au moins tant que la ligne de François Hollande consistera à réduire la dépense publique et baisser le coût du travail.
[^2]: Le PCF, le PG et la Gauche unitaire (GU), initiateurs du Front de gauche en 2009, ont été rejoints par la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), République et socialisme (R&S), le Parti communiste des ouvriers de France (PCOF), Convergences et alternative (C&A), Gauche anticapitaliste (GA) et Les Alternatifs.
[^3]: « Pourquoi nous n’irons pas manifester dimanche 5 mai », Libération, 17 avril.