Drogues : punir, c’est dépassé

À Vilnius, la 23e Conférence sur la réduction des risques a témoigné d’une remise en cause des politiques répressives, inefficaces. Reportage.

Olivier Doubre  • 20 juin 2013 abonné·es

Longtemps, la réduction des risques liés à l’usage de drogues (RdR) a lutté pour s’imposer et prouver son efficacité du point de vue de la santé publique. Face à l’urgence des hépatites et du sida, pandémies qui ont largement frappé les usagers de drogues et les frappent encore durement dans les pays où la réduction des risques n’est pas assez développée, ses acteurs ont pris soin, pendant plus de deux décennies, de se limiter à défendre les mesures de protection de la santé des usagers de drogues (programmes d’échanges de seringues, traitements de substitution à l’héroïne, etc). La question d’une remise en cause des politiques répressives relatives aux drogues était toujours soigneusement évitée, quand bien même on savait qu’elles contribuaient à limiter les bénéfices sanitaires et sociaux de la RdR, afin de ne pas mettre celle-ci en péril face aux tenants du tout-répressif.

Or, si certains signes avant-coureurs l’avaient laissé entrevoir lors des précédentes éditions de cette conférence internationale, aujourd’hui, « les deux sujets », réduction des risques et politique des drogues, « ne peuvent plus être séparés ». C’est ce qu’a martelé, sous les applaudissements, Ethan Nadelmann, le plus célèbre chercheur et militant anti-prohibitionniste états-unien, lors de son allocution qui a clos la dernière session plénière de cette 23e Conférence internationale sur la réduction des risques à Vilnius (9 au 12 juin). Cette rupture était visible dès l’ouverture, tant l’ensemble des orateurs insistaient sur l’urgence de réformer un cadre juridique international répressif ayant largement démontré son inefficacité. Tout d’abord, parce qu’on sait que la protection de la santé ne peut se faire de façon effective dans l’univers de la clandestinité. Les taux de mortalité, de morbidité et de contaminations par le sida et les hépatites des usagers de drogues des pays d’Europe orientale (susceptibles de transmettre ces épidémies à la population générale mais, surtout, victimes d’innombrables violations des droits de l’homme) le montrent de façon flagrante dans des pays où les programmes de réduction des risques sont encore peu développés, voire tombent sous le coup de la loi (voir ci-contre). Mais aussi parce que les fondements des sociétés démocratiques sont mis à mal par la « guerre à la drogue » décrétée par Richard Nixon en 1971. Une guerre qui a coûté plus de mille milliards de dollars, engloutis en vain face à des mafias dont la puissance ne cesse de se renforcer, synonyme de violence et de corruption généralisées, en Amérique latine mais aussi dans le Caucase, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique occidentale ou le pourtour méditerranéen. Une guerre qui a entraîné une politique d’incarcérations de masse, puisque plus d’un détenu sur deux dans le monde l’est pour un délit lié aux drogues. Ethan Nadelmann a ainsi rappelé qu’entre 1980 et 2005 les États-Unis avaient incarcéré plus de 30 millions de personnes, un nombre qui « dépasse les internés du goulag soviétique des années 1930, 1940 et 1950 réunies ».

Toutes ces raisons expliquent pourquoi les organisateurs ont donné une grande place au travail de la Commission mondiale de l’ONU sur les politiques des drogues. Celle-ci compte, outre Kofi Annan, de nombreux anciens chefs d’État d’Amérique latine, particulièrement touchés par les conséquences de la prohibition, aussi bien en termes de consommation que de trafic. Trois de ses membres étaient présents à Vilnius : l’ancienne présidente de la Confédération helvétique, Ruth Dreifuss, le Français Michel Kazatchkine, ex-directeur du Fonds mondial contre le sida, et Aleksander Kwaniewski, président de la Pologne de 1995 à 2005 [^2]. Au cours de leurs interventions, ils n’ont cessé de rappeler les recommandations auxquelles est parvenue la Commission en 2011, après plusieurs années de discussions, notamment la généralisation des politiques de RdR et, surtout, la décriminalisation de l’usage et de la détention de drogues. Avant de plus amples expérimentations pour réformer un système qui n’est jamais parvenu à empêcher l’augmentation de la production, du trafic et, surtout, des consommations. Vilnius fera date.

[^2]: Voir, sur www.politis.fr , l’interview qu’il nous a accordé, où il reconnaît s’être « trompé » en ayant fait adopter sous sa présidence une loi réprimant le simple usage de drogues dans son pays.

Société Santé
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