Extrême-droite : La dissolution fait débat
Après l’agression mortelle de Clément Méric, le gouvernement envisage d’interdire des mouvements d’extrême droite.
dans l’hebdo N° 1257 Acheter ce numéro
Au Sénat, Jean-Marc Ayrault avait promis de « tailler en pièces de façon démocratique, sur la base du droit, [les] mouvements d’inspiration fasciste et néonazie ». Sitôt acquise la certitude que Clément Méric, militant antifasciste de 19 ans, avait bien succombé aux coups que lui avaient portés des skinheads proches des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), le Premier ministre a demandé sans attendre au ministre de l’Intérieur d’engager une procédure visant à dissoudre ce mouvement. Le gouvernement se fonde sur l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure, qui permet de dissoudre par décret en conseil des ministres des associations ou des « groupements de fait » qui « provoquent à des manifestations armées dans la rue » ou qui ont pour but d’ « attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement », ou encore celles qui « provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence ». Autant de motifs susceptibles d’être retenus contre les JNR, réputées constituer le service d’ordre de Troisième Voie, organisation dont les agresseurs de Clément Méric ont déclaré être des sympathisants. Ces deux mouvements sont dirigés par Serge Ayoub, alias « Batskin », une figure de la mouvance skinhead des années 1980 pour qui la violence est « un moyen d’expression ».
Depuis 1958, une soixantaine d’organisations ont été dissoutes par les autorités. Parmi elles figurent le Front de libération nationale de la Corse (FLNC, interdit en 1983) ou encore Unité radicale, interdite en 2002 à la suite de la rocambolesque tentative d’assassinat de Jacques Chirac par un de ses membres, Maxime Brunerie. Forsanne Alizza, un mouvement islamiste, a été la dernière organisation à avoir subi les conséquences d’une telle mesure. Mais l’efficacité de ces interdictions est mise en doute. Elles compliqueraient le travail des services de renseignement, expliquent certains. Il est en effet plus facile de surveiller les individus réputés dangereux quand ils agissent dans le cadre d’organisations structurées. Autre argument avancé notamment par Olivier Besancenot, l’ancien chef de file du NPA : « Un groupe […] dissous va se reformer le lendemain même, avec un autre nom », a-t-il assuré au micro de France Info. De fait, le Bloc identitaire a bien été créé par d’anciens membres d’Unité radicale. En butte à une demande d’interdiction de son organisation, demandée notamment par Jean-Jack Queyranne, président PS de la Région Rhône-Alpes, Alexandre Gabriac, le président des Jeunesses nationalistes, organisation ultra basée à Lyon, minore d’ailleurs la menace : « Une dissolution ne pourra pas porter atteinte au développement de nos idées et au bon fonctionnement de notre mouvement », fanfaronne celui qui a été exclu du FN après un cliché le montrant en train d’effectuer un salut nazi. La dissolution d’Unité radicale en 2002 aura tout de même éloigné définitivement de la mouvance extrémiste certains militants, notent des observateurs de l’extrême droite. Elle a aussi permis de maintenir hors de la légalité ceux qui entendaient poursuivre dans la même voie de violence. Le recours à la dissolution n’est donc pas aussi vain qu’on le dit. Coprésident du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon la justifie, quant à lui, par des considérations historiques : « La France est le seul pays qui, avant-guerre, avait dissous les ligues fascistes. C’est la raison pour laquelle nous n’avons jamais eu de prise du pouvoir […] par les fascistes », a-t-il expliqué sur RMC.
Décider de dissoudre, c’est rappeler que le recours à la violence n’est pas tolérable dans la confrontation politique, et que les discours provoquant à la haine et à la violence n’ont pas droit de cité dans le débat public. Mais la seule dissolution des JNR ne suffira pas. Le gouvernement devra nécessairement se pencher sur le cas de Troisième Voie ou sur celui des Jeunesses nationalistes. On comprendrait mal que l’exécutif n’interdise pas le mouvement d’Alexandre Gabriac, dont le site Internet contient des tracts au contenu explicite. Un d’entre eux affirme la nécessité de « détruire un par un les vices qui empoisonnent notre race » (sic) et de « combattre les droits de l’homme et leur fausse conception de la liberté ». Les membres des Jeunesses nationalistes sont exhortés à se réapproprier la nation. Une chose qui ne leur semble possible « qu’en rupture totale avec la démocratie »…