« Je vous demande de répondre ! »

Le « Zap politique » de Christophe Barbier, sur i-Télé : un leurre télévisuel inscrit dans la culture de la spectacularisation, loin du « Zapping » original de Canal +.

Jean-Claude Renard  • 20 juin 2013 abonné·es

«Jean Peyrelevade, vous qui avez dirigé le Crédit Lyonnais, que voyez-vous derrière cette affaire Tapie ? », demande expressément Christophe Barbier. Depuis les studios d’Europe 1, l’ancien patron répond. Christophe Barbier reprend la main : « C’est une affaire d’État, organisée par l’État, contre l’État, estime François Bayrou. Christian Jacob, comment réagissez-vous à cette phrase ? » Sur le plateau d’i-Télé, le président du groupe UMP à l’Assemblée se défend comme il peut sur une procédure d’arbitrage maintenant entre les mains de la justice. De nouveau à Jean Peyrelevade, toujours à Europe 1, de savoir « si l’ancien président pourrait être mouillé ». « Qu’en dit-on du côté du gouvernement ? », insiste le journaliste auprès de Fleur Pellerin, au micro de RTL. Avant d’enchaîner par une autre question : « Qu’en pensez-vous, Pierre Gattaz, candidat à la présidence du Medef ? », lequel est à l’antenne de France Info. Nouvelle interpellation, cette fois pour Aurélie Filippetti, alors à France Inter, sur l’extinction de la radio télévision grecque.

Pugnace, retors, le patron de l’Express se montre exigeant, pinaille, pointe du doigt. Il somme, ordonne. Moins dans la question que dans l’injonction. Toujours à la relance. Dans la sagacité, l’opiniâtreté. Qui ne s’en laisse pas compter. S’« Aphatise », en donneur de leçon. Il menace presque, hausse le ton, tance, jamais rassasié. Toujours cravaté-costaré, arborant son écharpe rouge, faussement, négligemment crapahutée autour du cou, devenue un produit identitaire dans l’info spectacle. Tel est le « Zap politique » de Christophe Barbier, à 8 h 50 et plusieurs fois rediffusé dans la journée sur i-Télé. Étiré sur cinq à six minutes, un pêle-mêle bâti sur les interventions déclinées dans les matinales des radios (maintenant filmées) et des télés, et reprenant les petites phrases des personnalités politiques invitées sur les plateaux. Quotidiennement, Barbier puise aussi dans sa propre interview politique sur la même chaîne (à 7 h 50). On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Un zapping de plus, dira-t-on, dans un paysage audiovisuel qui use de l’exercice à toutes les sauces, plus encore avec la multiplication des chaînes. Qu’il s’agisse de « Téléfoot » (TF1), de « Stade 2 », magazine sportif dominical de France 2, du « Zap sport » sur Canal, ou encore du « JT des JT » et du « Zap info », sur i-Télé, jusqu’à Jean-Marc Morandini sur Europe 1. Le plus souvent, c’est une cascade d’images puisées dans les programmes de la semaine, parfois commentées, un méli-mélo, fourre-tout censé amuser, divertir, à regarder comme un bêtisier, ou une série d’images qui s’enquillent selon une thématique.

Une copie loin de l’original, le « Zapping » de Canal +, créé en 1989 par Patrick Menais (aujourd’hui toujours aux manettes). Un zapping qui établit une hiérarchie, impose des résonances, des abîmes, des enchaînements, suivant un montage extrêmement pensé. Un zapping qui, dans une époque saturée d’images, redonne du sens au robinet. Présenté comme un « concentré des événements et des réactions de ceux qui font l’actualité politique », en transe de sentences, celui de Christophe Barbier s’inscrit dans la spectacularisation de l’info, la pensée interrompue, quasi situationniste. Pas de hasard si Patrick Menais aime aujourd’hui à citer Debord : « Je ne travaille pas pour le spectacle de la fin du monde mais pour la fin du monde du spectacle. » Le « Zap politique » sur i-Télé ajoute à la spectacularisation un leurre télévisuel. Barbier ne reçoit personne (sinon son propre invité, quelques minutes plus tôt dans la matinée), mais, à travers le montage des phrases des politiques, posant une question qui toujours obtient sa réponse, forcément, il donne l’impression d’interroger tout le monde. L’impression d’avoir successivement à son micro Aurélie Filippetti, Pierre Gattaz, Christian Jacob et Jean Peyrelevade. Ou, tel autre jour, Jean-François Copé, Marine Le Pen et Benoît Hamon. En son temps, bien calé dans l’imposture, PPDA avait fait la même chose avec Fidel Castro.

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