Jeux de scène à l’italienne

Shakespeare, Kantor et combats d’échecs : impressions du festival de Naples.

Gilles Costaz  • 20 juin 2013 abonné·es

Àl’approche de l’été, les festivals européens se livrent une guerre fraternelle. Qui aura Peter Brook et qui n’aura pas Romeo Castellucci ? Depuis quelques années, la manifestation de Naples, Napoli Teatro Festival Italia, a pris une place honorable dans ce grand combat, toujours à la fois gagné et perdu (les subventions continuent de baisser) pour un théâtre de plus en plus ouvert en direction de l’Europe et du reste du monde. Le directeur artistique du festival, Luca De Fusco, a su, cette année, se placer dans le peloton de tête. Il avait précisément Peter Brook à son programme : le metteur en scène britannique présentait en langue allemande le Dépeupleur, de Beckett. Il avait aussi Andreï Kontchalovski, venu mettre en scène en italien la Mégère apprivoisée, de Shakespeare, tandis que lui-même, De Fusco, montait du même Shakespeare Antoine et Cléopâtre.

La participation française est importante. C’est le chorégraphe José Montalvo qui a inauguré la manifestation avec son ballet, Don Quichotte du Trocadéro. Et l’on attend, pour la fin de cette semaine, le spectacle de Jean-Louis Martinelli, Une nuit à la présidence, qui ne se déroule pas à l’Élysée mais braque le projecteur sur la politique du Burkina Faso et les implications douteuses du monde occidental. Martinelli a écrit le texte en collaboration avec Aminata Traoré. Ce spectacle viendra à Nanterre, au printemps – Martinelli, alors, en aura été délogé, puisqu’il n’a pas été reconduit à la tête des Amandiers. Lors de notre passage à Naples, nous avons assisté à des créations italiennes. Les jeunes auteurs transalpins nous sont peu connus, et les découvrir dans des lieux étonnants est un grand plaisir. Naples possède de fort beaux théâtres à l’italienne, tels le fameux Teatro San Carlo et l’élégant Mercadante, mais le principe du festival, suivant en cela un courant qui ne date pas d’hier, est aussi d’aller dans des lieux non théâtraux. Il a ainsi utilisé le formidable Musée national ferroviaire de Pietrarsa : les spectacles se jouent dans des hangars où dorment les massives locomotives d’antan. Ça sent la ferraille et la graisse chaude ! La baie de Naples, où est ancré ce musée, rend le spectateur particulièrement imaginatif. L’un des meilleurs spectacles donnés s’appelle le Jeu des rois. Cette pièce de Luca Viganò, mise en scène par Marco Sciaccaluga, traite d’un sujet rarement abordé au théâtre : les grands combats d’échecs, à la hauteur des tournois internationaux. On suit la lutte entre le champion cubain José Raúl Capablanca et le Russe Alexandre Alekhine au cours des années 1920 et 1930. C’est une lutte entre gens qui s’estiment, mais la volonté de vaincre, la jalousie, le goût de la séduction empoisonnent leurs relations. Russe rejeté par son pays, Alekhine va rejoindre le clan nazi, pensant que sa manière de jouer est en adéquation avec la volonté nationale-socialiste de vaincre… La pièce n’est guère surprenante dans sa forme, mais on lui souhaite d’être traduite ici et là car elle est une bonne leçon d’histoire au sujet inhabituel.

Sur le plan de l’esthétique et de l’originalité, on préfère la Classe de Nanni Garella, qui s’inspire du célèbre spectacle de Tadeusz Kantor, la Classe morte. Dans l’œuvre du dadaïste polonais, des vieillards évoquaient de manière lancinante le passé de leur pays, tournant et retournant parmi les bancs et les tables d’une salle de classe fatiguée. Nanni Garella a repris cette idée et l’a adaptée pour ses acteurs, des malades mentaux avec qui il travaille régulièrement. Le résultat est beau et émouvant : c’est un défi à la mort, à la souffrance, à l’âge qui met à mal l’enfance jamais éteinte en l’être humain. Le festival de Naples sait aussi donner sa place à la marge.

Théâtre
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