Julien Bayou : « Une taxe dissuasive sur les logements vides »

Figure centrale du documentaire de Marie Maffre Ainsi squattent-ils, Julien Bayou revient sur l’évolution du mouvement Jeudi noir, sur la crise du logement et sur les pistes de réformes pour en sortir.

Ingrid Merckx  • 5 juin 2013 abonné·es

Le journal de petites annonces De particulier à particulier sort le jeudi. C’est l’origine du nom du collectif Jeudi noir, qui s’est fait connaître à Paris en 2006 en perturbant des visites d’appartements pour dénoncer les loyers trop élevés. Ils sont passés à des squats moins joyeux, se terminant souvent par des expulsions musclées – rue de la Banque, rue de Matignon, place des Vosges, impasse Saint-Claude, rue de la Harpe, rue de Sèvres… Certaines ont débouché sur des victoires : le 6 juin, la mairie de Paris inaugure des logements sociaux dans l’immeuble anciennement squatté rue de la Banque. Soit le lendemain de la sortie du film Ainsi squattent-ils.

Vous êtes une figure centrale d’ Ainsi squattent-ils, film de Marie Maffre, Jeudi noir a-t-il fait de vous une star ?

Julien Bayou : Nous avons été quelques-uns à ouvrir la Marquise, place des Vosges, à Paris, et à avoir soutenu les habitants jusque dans leurs démêlés juridiques. Mais Marie Maffre a fait son film. Nous n’aurions probablement pas réalisé le même : nous aurions mis l’accent sur nos propositions et les moments dramatiques plutôt que sur les petits moments de grâce, comme celui où l’on voit les habitants de la Marquise en train de nettoyer la cour…

Qui sont les habitants de la Marquise ?

Côté pile, les « habitants » préparent du tiramisu à la Marquise, magnifique hôtel particulier, et aménagent une terrasse plantée dans la cour. Côté face, ils vident ce qui bouche les sanitaires depuis des années, refont la tuyauterie, vont chercher de l’eau à l’unique point qui fonctionne et tentent de chauffer cet immense espace de pierre glacial en ce rude hiver 2009-2010. Côté pile, les membres de Jeudi noir festoient dans les bureaux vides d’Axa, rue de Matignon, en narguant la police qui attend le feu vert de l’autre côté des vitres. Côté face, ils sont emmenés brutalement malgré les chaînes qui les attachent (février 2011). Marie Maffre a suivi à Paris deux occupations menées par le collectif Jeudi noir, place des Vosges et rue de Matignon. Si les parcours et les motivations de ces jeunes ne parviennent que par bribes, le documentaire Ainsi squattent-ils traduit bien ce balancement entre militance et galère, absence de toit et colocation spéciale, gestion collective et menace permanente d’une expulsion.
Marie Maffre assume le risque de décontenancer le spectateur afin qu’il se retrouve un peu comme un de ces galériens débarquant dans un squat. Les habitants ne choisissent pas avec qui ils vont habiter, ils découvrent les autres petit à petit. Majoritairement, ce sont des étudiants et des jeunes actifs. Des personnes qui auraient les moyens de payer un petit loyer mais qui ne présentent pas les garanties suffisantes pour les propriétaires, parce que sans caution familiale notamment.

Comment évolue Jeudi noir ?

On a commencé avec des visites d’appartements et d’agences en octobre 2006. En décembre, on ouvrait le squat de la rue de la Banque avec le DAL [Droit au logement] et des familles de mal-logés. Une très longue occupation… On a continué avec des opérations moins lourdes pour permettre différents niveaux d’intervention : tout le monde ne peut devenir squatteur, il y a peu de place et c’est risqué. Le noyau dur de Jeudi noir compte une trentaine de personnes, mais on peut vite être une centaine.

Combien de membres sont actuellement inquiétés par la justice ?

Pour la rue de Sèvres, 8, et pour la Marquise, 15 à 20, car la condamnation « solidaire » s’étend aux conjoints et aux enfants… Nous avons été expulsés le 23 octobre 2010 de la place des Vosges. Depuis, la propriétaire paie un maître-chien pour garder le bâtiment vacant ! La rue de Matignon est toujours vide. Il y a des recours en cours pour la rue de Sèvres, un bâtiment abandonné depuis plus de quinze ans. La propriétaire a réclamé un dédommagement pour l’occupation et un autre pour la dégradation, alors que Jeudi noir l’a remis en état. Elle a même osé demander au juge la pose d’un ascenseur sur le dos des précaires ! Vide juridique ou lois injustes ? Jeudi noir ne s’en prend pas à la propriété. Son objectif est d’ouvrir des lieux puis de remettre les clés à quelqu’un qui a un projet : vente, location, bureaux… Ce qui nous insupporte, c’est le droit absolu de ne rien faire de sa propriété, parce que cela a un impact social. Si on retire un bien du marché, on diminue le stock et les prix augmentent pour tout le monde. Une taxe sur les logements vacants peut suffire à condition d’être assez élevée pour être dissuasive.

Le film montre que le squat peut être une activité militante, un non-choix et un mode de vie…

Il y a certes un virus de la vie en collectivité, entre gestion collective et colocation. C’est une fantastique aventure mais c’est usant. Pour certains, c’est un répit, un refuge. Pour d’autres, une transition avant le logement social. Les membres de Jeudi noir sont plutôt célibataires et sans enfants, même si des couples se sont formés et que des enfants sont nés au gré des occupations. Nous avons créé Jeudi noir parce que des gens pouvant payer un loyer ne trouvaient pas à se loger : preuve d’un dérèglement général.

Que pensez-vous de la politique de réquisition menée par le gouvernement ?

La procédure entamée pour 5 000 logements aurait permis 75 % de remises sur le marché. Si c’est exact, cela signifie que l’effet dissuasif est très fort. Mais il peut aussi s’agir de fausses remises sur le marché…

Qu’espérer du futur dispositif de « garantie universelle du logement » ?

Ce serait une révolution : tous les locataires se vaudraient ! Le risque est que les propriétaires, sûrs d’être payés, en profitent pour augmenter les loyers. Il faut que cette garantie soit assortie de contreparties sur la modération, voire la baisse, des loyers à Paris. Et puis Dalo, taxes, constructions, remises en état : il faut cumuler tous les dispositifs pour sortir de cette crise.

Société
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