Les Pitiot, scène de famille

Le festival TaParole, accueille Thomas et Gérard Pitiot, en tournée pour un double album.

Ingrid Merckx  • 13 juin 2013 abonné·es

Dix ans. Le festival TaParole, qui se tient jusqu’au 16 juin à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), est né en 2003, l’année des grandes grèves des intermittents. Curieuse coïncidence pour un festival de chanson qui a démarré sans le sou, dans une cour d’immeuble, comme on improvise une fête. Et affiche un esprit militant : programmer des artistes peu connus ou qu’on n’entend pas assez. Une célébrité ouvre le bal – Les Têtes Raides cette année – puis des moins connus enchaînent. « TaParole est une réponse à l’ennui, au formatage et au manque de curiosité  […]. La tâche est ardue car nous nous situons précisément là où le public, les médias et les professionnels ne vont pas », expliquent les organisateurs.

Parmi les artistes 2013 : Emily Loizeau et Fantazio, mais aussi Casez et Sarah Olivier. Et puis Thomas Pitiot, figure de la Seine-Saint-Denis et fondateur d’Aubercail, un « festival cousin », à Aubervilliers. Âgé de 38 ans, il est né à l’heure où son père, Gérard, qui avait toujours chanté en s’accompagnant à la guitare, décidait de ne plus faire que de la musique. Aujourd’hui, les deux artistes signent un « double album familial », Transports Pitiot. Un répertoire les réunissant « dans le respect de l’univers de l’un et de l’autre, assurant quelques concerts familiaux et émotions nouvelles », résume Thomas. «  Le casse artistique du siècle », ajoute-t-il ironiquement car, si les Pitiot ont sauté sur l’idée que les Hallyday et les Chedid n’ont pas eue, ni l’un ni l’autre n’entend « séduire les marchands ». « Mon père m’a appris qu’on pouvait vivre de la musique et y prendre du plaisir sans entrer dans des logiques de succès. La reconnaissance est importante mais, d’une certaine façon, on choisit d’où elle peut venir… »

Thomas Pitiot prépare ses albums « de façon artisanale », les réalise et les produit à travers une structure associative, L’Oiseau nomade, et passe par un distributeur indépendant. « Français du monde », il ne conçoit pas la musique comme une activité déconnectée d’ateliers d’écriture et pédagogiques, et de concerts où ça lui chante. Pour cette tournée, père et fils partagent la scène, s’invitant sur leurs chansons respectives. Pensé de concert, ce double CD n’est pas un album duo. Deux disques se font face dans la pochette, on passe de l’un à l’autre comme on traverse un palier. Le groupe est le même : piano, contrebasse, percussion. « Un trio afro jazz avec des instruments additionnels : guitare, trompette, accordéon… » La déco change. Des esthétiques africaines chez Thomas, qui signe des chroniques de ce qu’il observe depuis l’enfance, comme la toxicomanie des « grands frères » (« Cuillères et cailloux ») dans les quartiers populaires des années 1980.

« On les voyait, gamins, devenir des fantômes dans les halls d’immeubles, et puis partir… Ce phénomène dont personne ne parle en dit pourtant long sur la manière dont notre pays a accueilli différentes vagues d’immigration et a laissé la vente de drogue se développer… » Les textes sont plus confidentiels chez Gérard, dont la voix a plus de grain, de swing (« Ta bicyclette ») et, forcément, de bouteille. Pas d’échos vraiment d’un titre à l’autre, mais des « passerelles »  : « Par exemple, entre “1901”, où je parle de l’engagement associatif, et “Gens de mon âge”, où mon père évoque ceux avec qui il devait changer le monde… » C’est surtout là que s’est faite la transmission, dans une certaine idée du collectif. Dans « Fils à papa », Thomas, tel un Boby Lapointe, brode sur un père-syllabe  *: « per-plexe », « per-égrine », « per-ceneige »* … Il se moque, le fiston, mais, même quand il se découvre d’autres « per-spectives » et « lâche la per-fusion », il « per-pétue la conquête ». Avec la même im-per-tinence.

Musique
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