L’Indonésie lance la première banque de semences locales

Des agriculteurs ont recensé une centaine de variétés de cultures de base de l’alimentation indonésienne. Et tentent de résister aux grandes firmes.

Patrick Piro  • 20 juin 2013 abonné·es

Kuncoro a fait neuf mois de prison en 2010. Le crime de ce petit paysan indonésien de Kediri (Java) ? Il a pratiqué des croisements de variétés végétales pour les améliorer et les vendre. Interdit, même à petite échelle, en dehors d’une certification délivrée par les autorités aux entreprises semencières, lesquelles ont porté plainte contre Kuncoro. Et il n’est pas le seul dans ce cas. « Ce type de répression se manifeste depuis 2004, avec un pic en 2010 », indique Setiyarman, paysan du centre de Java. En Indonésie, les semences paysannes locales disparaissent peu à peu sous l’emprise de la commercialisation des variétés hybrides déposées officiellement, et protégées par la réglementation. « Mais beaucoup d’utilisateurs ont été déçus : il est rare que les hybrides tiennent les promesses annoncées de besoins réduits en eau et en engrais, rapporte Setiyarman. Alors que les semences locales, si leur rendement n’est pas aussi élevé que celui des hybrides, sont mieux adaptées aux conditions que nous rencontrons, et il n’est pas besoin de les racheter d’une année sur l’autre. » En 2000, avec d’autres agriculteurs, Setiyarman prend l’initiative de lancer un recensement des meilleures variétés des principales cultures paysannes, avec leur aire de présence, leur mode de culture, etc. Et ils entreprennent d’élargir l’enquête à toutes les grandes îles de l’archipel, avec l’appui de groupes locaux.

Il faudra cinq années pour achever le travail à Java, et douze autres pour toutes les provinces d’Indonésie. Et, en 2012, les initiateurs déposent les statuts de la première banque de semences paysannes du pays : Asosiasi Bank Benih Tani Indonesia (AB2TI). Au catalogue, 139 variétés, dont chaque province assure la conservation. Maïs, soja, légumes, fruits, quelques arbres « à bois » et du riz, bien sûr, aliment de base dont les paysans ont retenu 49 variétés, déjà produites et distribuées depuis quelques mois en Java centrale par AB2TI. « Deux tonnes : on est au début, commente Azwar, coordinateur national de la banque de semences. Elles sont vendues à prix coûtant, et nous favorisons plutôt l’échange de variétés. L’objectif n’est pas le profit mais le renouveau des semences. Il faut convaincre les esprits conditionnés par le discours des firmes. » AB2TI peut s’enorgueillir de son indépendance : le réseau est financé par les groupes qui y ont participé. « Pourtant, ce travail devrait incomber aux pouvoirs publics, remarque Azwar. Le gouvernement privilégie le partenariat avec les firmes dans sa politique de distribution de semences, et laisse les paysans de côté. » AB2TI vient d’ailleurs de se pourvoir en justice pour dénoncer cette « anomalie ». Une mesure d’anticipation plus qu’une déclaration de guerre contre les autorités : au regard des punitions infligées à Kuncoro et aux autres, AB2TI, qui entend pratiquer l’amélioration de variétés, est en droit de craindre une offensive des firmes semencières.

Les paysans, qui tenaient un stand dans le « village agroécologique » installé pendant l’assemblée de la Via Campesina, y ont brièvement accueilli le ministre de l’Agriculture. « Il s’est montré très ouvert et intéressé par notre expérience, rapporte Setiyarman. Il a demandé un relevé des cas de criminalisation de paysans-semenciers, dont il nous a dit ne pas avoir connaissance. » Outre une demande d’abandon des poursuites en cours, les représentants d’AB2TI ont annoncé au ministre leur intention de développer les savoir-faire paysans en matière d’amélioration des semences, ainsi que leur volonté de propager la diversité des variétés. « Le ministre a promis de nous retrouver en novembre lors d’une rencontre de la profession semencière, dont nous faisons bel et bien partie, commente Azwar. C’est bien, mais nous attendons plus que des discours : un soutien authentique à ce type d’initiatives paysannes. »

Écologie
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement
Environnement 19 novembre 2024 abonné·es

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement

Deux sénateurs de droite ont déposé une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc. : elle s’attaque frontalement aux normes environnementales, pour le plus grand bonheur de la FNSEA.
Par Pierre Jequier-Zalc
« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »
Entretien 13 novembre 2024 abonné·es

« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »

Climatosceptique de longue date, Donald Trump ne fera pas de l’écologie sa priorité. Son obsession est claire : la productivité énergétique américaine basée sur les énergies fossiles.
Par Vanina Delmas
« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »
Entretien 8 novembre 2024 abonné·es

« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »

Le collectif de chercheurs Scientifiques en rébellion, qui se mobilise contre l’inaction écologique, sort un livre ce 8 novembre. Entretien avec un de leur membre, l’écologue Wolfgang Cramer, à l’approche de la COP 29 à Bakou.
Par Thomas Lefèvre
Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »
Entretien 6 novembre 2024 libéré

Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »

L’ancien chargé de campagne chez Greenpeace décrypte comment la complicité des ONG environnementalistes avec le système capitaliste a entretenu une écologie de l’apparence, déconnectée des réalités sociales. Pour lui, seule une écologie révolutionnaire pourrait renverser ce système. 
Par Vanina Delmas