Ni flics, ni psys : les «APS» s’installent dans les écoles
Créés en août 2012 pour prévenir les violences scolaires dans les établissements les plus sensibles, les «assistants de prévention et de sécurité» prennent leurs marques. Reportage à Marseille.
Veste en cuir, chemise en jean et tennis aux pieds, Naouel Ben Aissa affiche un style décontracté. « Même si je ne suis pas leur copine, les élèves se sentent à l’aise avec moi, ils ont compris que j’étais là pour les conseiller et faire en sorte qu’ils se sentent bien » , explique-t-elle alors qu’elle demande à un lycéen d’ôter sa casquette lorsqu’il entre dans son bureau.
Cette jeune femme de 26 ans est la nouvelle assistante de prévention et de sécurité (APS) du lycée Victor-Hugo, un établissement marseillais classé en zone d’éducation prioritaire. Ce poste, créé l’été dernier par le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, doit officiellement prévenir tout type de violences scolaires.
Mais, depuis, les APS s’efforcent de dissiper le flou sur leur mission et soignent leur image tant le mot « sécurité » peut faire peur dans le milieu scolaire. Naouel Ben Aissa se veut donc claire : « Je ne me vois pas comme un vigile mais plus comme un éducateur . Pour moi, la sécurité, c’est améliorer le climat scolaire, que les élèves se sentent bien et qu’ils aient envie de venir au lycée. Les violences touchent généralement des élèves qui n’ont pas envie d’être là. » Même son de cloche du côté de la direction : « Pour nous, la sécurité, c’est mettre le paquet sur la prévention, apporter des réponses à un élève en difficulté » , estime Laurent Lucchini, proviseur du lycée.
En réalité, le rôle des APS n’est pas vraiment défini. « Sur le bulletin, il est indiqué que la mission doit être établie en fonction du contexte de l’établissement , renseigne le proviseur du lycée. C’est pourquoi nous avons décidé de miser sur la réussite des élèves de seconde, puisque cette étape est primordiale pour la suite de leur scolarité. » Sur les 330 élèves de seconde que compte le lycée, 10 % sont très souvent absents et 12 % redoublent. C’est pour faire chuter ces chiffres et ainsi lutter contre le décrochage scolaire que Naouel Ben Aissa a été recrutée en octobre dernier.
Après une formation de deux mois, notamment sur les infractions pénales, l’absentéisme et le suicide, l’APS est totalement opérationnelle depuis novembre. Elle se concentre désormais sur ces élèves qui perdent pied. « Certains sont très perturbateurs car ils s’ennuient. Le problème est que ces élèves ont souvent été mal orientés à la fin du collège » , explique Naouel Ben Aissa. Pourquoi ? « Parce que les parents ont refusé que leurs enfants quittent un lycée général pour un professionnel ou parce que ces élèves n’ont pas pu obtenir de place dans la formation qu’ils désiraient. »
Accompagner les réorientations
Le rôle de l’APS est donc de les suivre et de leur donner les moyens de changer d’orientation. « Je travaille en collaboration avec la conseillère d’orientation. Une fois que les élèves ont défini avec elle un projet, je contacte des établissements afin qu’ils puissent obtenir un stage “passerelle” » , détaille Naouel Ben Aissa. Ce stage leur permet de tester pendant trois semaines une nouvelle formation. À l’issue de cette expérience, l’élève et le proviseur du lycée professionnel font un bilan. À ce jour, sur les vingt élèves de seconde qui ont obtenu ce stage, douze ont pu changer de formation sans redoubler leur année. Ils ont désormais opté pour un bac professionnel « cuisine », « gestion-administration » ou « chimie en laboratoire ».
Kenza, 17 ans, est l’une de ces élèves. Depuis janvier, elle a intégré un bac professionnel « commercialisation et service en restauration » qu’elle souhaiterait, dans l’avenir, compléter par un apprentissage en pâtisserie pour ouvrir la sienne. Ce jour-là, elle a fait le déplacement jusqu’au lycée Victor-Hugo pour rendre visite à ses anciens camarades et donner de ses nouvelles à l’APS.
« Si j’ai été en général, c’est pour faire plaisir à ma mère. Elle ne voulait pas que j’aille en professionnel. Mais ça ne me plaisait pas et j’avais trop de difficultés , avoue avec timidité l’adolescente. La conseillère d’orientation m’a conseillée sur la filière mais pas sur le choix de l’établissement. L’APS, c’est comme une conseillère mais en plus approfondi. Sans elle, je serais encore ici ou peut-être même en rupture scolaire. »
Car avant l’arrivée de l’APS, les élèves ne pouvaient pas bénéficier d’un tel stage. Du coup, ils devaient attendre la fin de l’année scolaire pour changer d’orientation, sans autre choix que de redoubler. Même si les confessions de Kenza sont une « satisfaction » , Naouel Ben Aissa sait que la création de son poste n’est pas une recette magique qui va enrayer le décrochage scolaire. « Je ne suis pas Superman, je ne vais pas tout bouleverser, j’apporte seulement un plus à certains élèves » , estime la jeune femme.
Moins «catalogués» que les psychologues et les conseillères d’orientation
L’arrivée d’un nouvel élément dans l’équipe pédagogique du lycée Victor-Hugo a plutôt été bien accueillie. Enseignants, conseillers d’éducation, d’orientation, psychologues et infirmières louent les qualités de Naouel Ben Aissa. En tant que professeur d’EPS, et surtout professeur principal d’une classe de seconde entièrement composée de redoublants, Véronique Pereira est étonnée de l’utilité de ce poste :
« Au départ, je ne comprenais pas vraiment quelle fonction Naouel occuperait, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Son avantage est de bénéficier d’un statut neutre, contrairement aux psychologues et aux conseillères d’orientation, trop souvent catalogués par les élèves. D’ailleurs, certains refusent d’aller les voir » , témoigne-t-elle.
Ce n’est donc pas un hasard si le bureau de Naouel Ben Aissa ne se trouve pas dans les locaux de l’administration mais dans un lieu facilement accessible et situé en face du réfectoire. Et ce n’est pas non plus un hasard si elle demande aux élèves de la tutoyer. « Naouel est disponible, abordable, elle comprend le langage des jeunes, elle n’est pas dans le jugement » , renchérit la professeure de sport. Des qualités qui s’expliquent par le fait que l’APS a longtemps travaillé comme surveillante dans des lycées et des collèges lorsqu’elle était encore étudiante en ressources humaines.
Pour Véronique Pereira, la création de ce poste signifie aussi une baisse des responsabilités. « Avant je devais aller frapper à toutes les portes pour faire le lien entre les conseillers, l’assistante sociale, etc. Cela ne faisait pas partie de mon rôle de prof. »
Sylvain Leroy, professeur de français, est aussi le professeur référent d’une classe de seconde, « la plus faible de l’établissement » , dit-il. Absentéisme, manque de motivation et lacunes accumulées font que la moitié de ses élèves ne passera pas en première l’année prochaine. Grâce à l’APS, trois jeunes ont voulu et pu changer d’orientation. Pour les autres, il est trop tard pour aller vers le professionnel. Le redoublement se fera donc en seconde générale.