Philippe Marzolf : « Si on trompe le public, on radicalise les opposants »

Philippe Marzolf critique les dysfonctionnements de la Commission nationale du débat public, à l’occasion du projet d’enfouissement des déchets à Bure. Selon lui, le jeu est bloqué d’avance.

Patrick Piro  • 13 juin 2013 abonné·es

Le débat public qui devait se tenir à Bure (Meuse) sur la création d’un centre de stockage des déchets nucléaires français vient d’avorter (voir ci-contre). Pour Philippe Marzolf, cet échec est représentatif des ambiguïtés que porte ce processus, jouant trop souvent un rôle d’accompagnement de projets déjà ficelés avant la rencontre avec le public.

Êtes-vous surpris par l’interruption du débat public à Bure ?

Philippe Marzolf : C’était largement prévisible. Les associations étaient très remontées et avaient décidé de ne pas y participer, mais on n’a pas fait grand-chose pour aller au-devant des contestataires et nouer un dialogue. Il est juste de qualifier ce processus de faux débat : on laisse croire au public qu’il s’agit d’échanger sur l’opportunité de construire le centre de stockage, alors qu’il n’en est rien. Comment peut-il en être autrement quand l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) part du principe qu’il existe déjà des déchets, et qu’il faut bien en faire quelque chose ? 

Fallait-il lancer ce débat maintenant ?

Je pense que c’était une erreur. La décision a été prise en février dernier sous la pression du calendrier de la Commission nationale du débat public (CNDP), alors que le renouvellement de sa présidence était imminent. Or, la fois précédente, la vacance a duré six mois, délai durant lequel aucun nouveau débat n’a pu être organisé. La CNDP a donc préféré prendre la décision au plus tôt, sous la pression de l’Andra et du gouvernement.

Les débats publics ne sont-ils pas trop souvent biaisés ?

La loi de 2002 qui a créé la CNDP est bonne… dans son principe. Elle indique que les débats traiteront de l’opportunité des projets quand tous les choix sont encore possibles, et que l’intervention du public peut influer sur la conclusion. Pourtant, elle a des faiblesses. Le maître d’ouvrage est libre de saisir la CNDP pour organiser un débat, et à la date qui lui convient. Or, on constate une dérive : les débats sont régulièrement lancés après que les concertations ont eu lieu entre les parties prenantes, qui ne sont plus du tout enclines à revenir sur les compromis. Le jeu est déjà bloqué quand on invite le public à la table. C’est ce qui s’est passé l’an dernier avec la rocade de contournement de Lyon, débat que j’ai présidé.

Finalement, les maîtres d’ouvrage ne cherchent-ils pas à se débarrasser de l’encombrant avis de la population ?

Il ne faut pas généraliser. Au long des quelque soixante-dix débats que j’ai vu passer, des projets ont été annulés, comme les contournements de Toulouse ou de Bordeaux. Ou fortement remaniés, comme la ligne à très haute tension France-Espagne. Il faut dire qu’il s’agissait d’une obligation européenne, et que, localement, tout le monde était mobilisé contre le schéma de ligne aérienne des ingénieurs. Cette ligne passe finalement sous terre. La voie express reliant Paris à l’aéroport de Roissy a aussi été modifiée grâce à la proposition alternative d’une association. Néanmoins, on constate depuis quelques années une crispation des élus, qui se sentent de moins en moins représentatifs alors que l’électorat boude les urnes. Ils s’agitent pour montrer qu’ils décident et agissent, afin de se légitimer. Dans ce contexte, le débat sur l’opportunité des projets est un retardateur. Alors, les élus choisissent d’aller au-devant de la population quand les projets sont pratiquement ficelés. Dès lors pourquoi ne pas clarifier les choses et annoncer que l’on organise des concertations destinées à dégager la manière de faire, plutôt que de faire croire que l’on va se prononcer sur l’opportunité d’un projet ? Dans le cas de Bure, il est évident que tout est déjà à peu près décidé. Il serait plus pertinent d’organiser une « concertation recommandée », selon le terme consacré, en présence d’un garant indépendant. Il ne faut pas tromper les gens, on n’y gagne que la radicalisation des opposants.

Comment le débat public pourrait-il fonctionner de manière plus honnête ?

Il faudrait en passer par une concertation initiale avec des collèges d’acteurs représentatifs, comme lors du Grenelle de l’Environnement, mais sans limiter les échanges aux experts, qu’ils soient officiels ou associatifs. Il faut ensuite organiser le débat public pour décider de l’opportunité du projet. Celui-ci doit traiter de trois points clés : quelles questions se poser, quelles études réaliser et comment choisir les bureaux d’études ? Buraux sur lesquels pèsent régulièrement des soupçons de partialité puisque c’est le maître d’ouvrage qui les choisit…

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