Rachid Taha : « À l’étranger, on ne me voit pas comme un Arabe »
Le chanteur Rachid Taha juge l’accueil en France de son nouvel album, Zoom, à la lumière de l’évolution du pays.
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Le 21 juin, jour de la Fête de la musique, Rachid Taha se produira dans le cadre du festival Les Invités de Villeurbanne. Le chanteur né près d’Oran, en Algérie, retrouvera ainsi le public de la région lyonnaise, où il a passé une partie de sa jeunesse. Depuis son premier disque, enregistré avec le groupe Carte de séjour, il n’a pas cessé de bouger. De Barbès (son grand succès solo en 1991) aux studios Real World (ceux de Peter Gabriel) à Bath en Angleterre, où il a terminé Zoom, son dernier album. Musicalement, c’est un explorateur qui nourrit ses disques de musique traditionnelle, de raï, de rock et de techno.
Comment votre nouvel album est-il accueilli ?
Rachid Taha : Il est accueilli sans problème par la presse. Mais je suis une nouvelle fois obligé de constater que la langue arabe ne passe pas en France. Car, à part celles de Radio France, aucune radio ne veut le diffuser. Certaines disent qu’il est trop rock, d’autres qu’il est trop raï, mais moi, je sais pertinemment pourquoi elles ne le passent pas…
Les musiciens touaregs de Tinariwen sont un peu dans le même cas.
Ils ont du succès partout où ils jouent, mais pas ici. Quand Amnesty International épingle la France pour racisme, je ne peux que constater que c’est une vérité quotidienne. J’ai toujours autant de difficultés à pénétrer dans certains lieux. Depuis l’époque où l’on interdisait aux Blacks et aux Reubeus l’accès de boîtes branchées, rien n’a changé.
Le racisme s’est encore amplifié ?
Il se manifeste différemment. Même moi, qui pourtant ne regarde que des films à la télé, je tombe forcément à un moment ou à un autre sur la Le Pen. Ce qui veut dire que son discours est installé. Ce que je constate aussi, c’est le dangereux repli des communautés sur elles-mêmes. Le foulard et l’islamisme, selon moi, s’apparentent tout de même plus à une mentalité d’extrême droite qu’aux idées de gauche ! Aujourd’hui, la pensée est à droite alors que nous espérions qu’elle irait vers la gauche. Le PS a énormément de responsabilités sur ce point.
Lesquelles, principalement ?
Ne pas donner le droit de vote aux immigrés ! Personnellement, et je le regrette, je n’ai aucun bon souvenir des gouvernements de gauche. La marche des Beurs, par exemple, ils en ont fait leur truc à eux. Les Reubeus se rappelleront davantage de Sarkozy, qui a supprimé la double peine : c’était quelque chose de très grave.
En général, vous manifestez assez peu vos opinions publiquement.
Il suffit d’écouter mes chansons ! C’est sans ambiguïtés. Mais aller dans un meeting ou recevoir une médaille, ce n’est pas mon truc. Évidemment, avec ce qui se passe aujourd’hui et les idées d’extrême droite qui sont partout, il va falloir que les artistes se bougent et qu’ils n’attendent pas l’entre-deux-tours d’une élection pour aller faire leur cirque… Aujourd’hui, il n’y a pas que le FN qui soit dangereux, il y a aussi ce que Copé véhicule. Son histoire de pain au chocolat est du même niveau que « le bruit et l’odeur » de Chirac. Le problème, c’est l’endormissement général, qui, à Paris, se manifeste par un épouvantable embourgeoisement de la ville. Ce qui me manque ici, c’est la classe ouvrière.
Vous habitez en région parisienne, vous chantez en partie en français, mais votre carrière est aussi internationale.
À l’étranger, on ne me voit pas comme un chanteur arabe, mais comme un artiste. Ce qui est très différent par rapport à ici. Des musiciens comme Brian Eno ou Robert Plant, sans me vanter, me considèrent comme un des leurs. C’est-à-dire quelqu’un qui crée, qui avance en faisant des albums tous différents. Sur le nouveau, j’ai repris « Voilà, voilà ». Eno y a participé.
Peut-être, avec « Barbès », votre chanson la plus connue ?
Mick Jones, guitariste de The Clash, joue et chante sur la nouvelle version.
Il voulait le faire, parce que l’ambiance lui rappelait Sandinista de Clash. Quant à Brian Eno, il ne voulait pas me produire. Il m’a dit : « Tu viens d’Afrique du Nord, tu as une culture arabe, une culture rock, tu aimes Oum Kalsoum, Elvis Presley et Alan Vega. Alors, tu connais assez de musiques pour y arriver tout seul… »
En fait, Zoom a été réalisé par Justin Adams, producteur de certains disques de Tinariwen et de Robert Plant.
C’est un homme curieux de tout. C’est la première personne, après toutes ces années, qui est parvenue à me faire enregistrer en journée… Difficile à croire, mais j’étais debout à 10 heures du mat ! (Rires.) Le prochain album, j’aimerais bien le faire avec David Byrne, de Talking Heads, cela s’inscrirait dans une certaine logique artistique.
Vous avez d’autres projets ?
J’essaie de monter le premier festival de rock arabe. Je suis en train de chercher des artistes en Palestine, en Syrie, en Irak, en Égypte… J’en ai déjà trouvé pas mal.
Dès le départ, vous écoutiez du rock ?
J’ai commencé assez tard à écouter sérieusement de la musique, mais ce qui m’a marqué en premier est en effet le rock. Presley, surtout. D’ailleurs, tous les gens avec qui j’ai travaillé, que ce soit Robert Plant, Mick Jones ou Brian Eno, mettent Elvis au sommet.
Mick Jones est l’une des grandes figures du mouvement punk.
Selon moi, le punk n’a été qu’une révolution ratée. Tout simplement parce qu’elle était menée par des bourgeois, des businessmen ou des types qui sortaient d’écoles d’art. Le seul rock issu véritablement de la classe ouvrière me paraît être le hard-rock. D’ailleurs, je rêve de faire un jour un duo avec Lemmy, de Motörhead… Mais, malgré tout, je me suis intéressé au côté politique du punk, qui, pour moi, représentait l’affirmation d’une sorte de nouvelle gauche. Celle des émeutes à Brixton – Ken Loach a parfaitement capté le climat de cette époque. Et puis ce sont souvent des musiciens du punk rock qui ont été à la base de la techno, une musique que j’adore et qui, par son côté répétitif est très proche de la musique africaine. Sur une version techno de « Voilà, voilà », j’avais utilisé un morceau de musique gnawa. Cela me paraissait logique.
En revanche, vous qui aimez expérimenter musicalement, vous n’avez jamais été tenté par le hip-hop ?
Ça ne me parle pas. Je me rappelle qu’une fois j’avais fait écouter un disque d’IAM à Brian Eno et à Steve Hillage, avec qui je travaillais. Ils avaient été sidérés par le manque total de « flow ».
En France, on vous a d’abord connu avec votre groupe Carte de séjour, qui, en 1986, reprenait « Douce France » de Charles Trenet.
C’est un classique, écrit pendant la guerre. On ne saura jamais vraiment comment son contenu doit être interprété, nous l’avons donc dépoussiéré. En 1986, nous n’avions encore que la carte de résident, on subissait, on avait peur des ratonnades… Je me souviens qu’à l’époque j’avais mis en garde Jack Lang, alors ministre de la Culture, lui expliquant que nos enfants, qui auraient la nationalité française, sortiraient des drapeaux algériens pendant les matchs de foot. Il m’a demandé pourquoi un truc aussi invraisemblable arriverait. Je lui ai répondu : « Ils le feront pour vous emmerder et pour emmerder l’extrême droite. » Il ne m’a pas cru, c’est pourtant ce qui s’est passé, non ?