Une ambition à faire germer
Le ministre de l’Agriculture a présenté son plan « Ambition bio 2017 ». Les professionnels affichent une satisfaction prudente : le financement de ce programme dépend de plusieurs décisions à venir.
dans l’hebdo N° 1256 Acheter ce numéro
Timide retour du soleil sur la France : vendredi dernier, les professionnels de l’agriculture biologique voulaient y voir une heureuse coïncidence saluant l’ouverture du 14e Printemps de la bio, rendez-vous annuel de la filière avec le public ^2. Incidemment, l’allusion pouvait s’adresser au ministre de l’Agriculture. Rue de Varenne, Stéphane Le Foll présentait son plan « Ambition bio 2017 », reçu par les producteurs et les transformateurs dans une ambiance globale de satisfecit. Certes teintée de prudence, car les arbitrages budgétaires ne sont pas tous rendus. Néanmoins, on veut croire que des jours meilleurs s’annoncent pour une filière qui s’est accoutumée depuis longtemps à compter d’abord sur ses forces : la bio semble enfin reconnue comme une pratique digne de l’intérêt public, et plus seulement comme une niche économique dont le gouvernement n’a, jusque-là, fait qu’accompagner le développement sans jamais vraiment le tirer.
Première satisfaction des professionnels : la bio se voit reconnaître au sein de l’agriculture française une place un peu plus conforme aux bénéfices qu’elle apporte à la collectivité. C’est l’un des rares secteurs en croissance économique continue depuis plusieurs années (de l’ordre de 5 % par an), relève Stéphane Le Foll. « L’époque n’est plus où nous sentions le soufre. Nous contribuons pleinement au redressement économique du pays, se félicite Jean Verdier, président du Syndicat national des transformateurs de l’agriculture biologique (Synabio). C’est un argument dont le ministre doit user pour défendre les budgets de soutien à la filière. » Ses pratiques écologiques (pas de pesticides ni d’engrais chimiques) vont aussi valoir des dividendes à la bio. Les fonds qui lui sont consacrés seront systématiquement doublés partout où sont identifiés des « enjeux eau spécifiques », annonce le ministre : « La qualité de nombreux captages, en France, est protégée par des exploitations bio. » Le plan Le Foll se décline en six axes : développer la production, structurer les filières, développer la consommation, renforcer la recherche, former les acteurs agricoles et agroalimentaires, adapter la réglementation (voir encadré ci-dessous). Ainsi, pour la première fois, le ministère semble endosser une vision globale et cohérente de la bio, parfois considérée par le passé comme un gadget de communication. Stéphane Le Foll en a d’ailleurs joué habilement pour se dédouaner des incertitudes budgétaires qui pèsent encore sur son plan : « Il faut opérer un changement de mentalité ! L’important, a-t-il martelé dès qu’une question le ramenait au piège des engagements chiffrés, c’est la dynamique globale que nous voulons insuffler. Il faut sécuriser la filière, répondre à la demande des consommateurs, en croissance régulière, et garder leur confiance par des pratiques rigoureuses. Que nous répondriez-vous si nous dépassions les objectifs de surface en bio mais que les agriculteurs avaient du mal à en vivre ? La filière ne doit pas perdre de vue l’exigence de la performance économique. » Sur la période 2014-2020, correspondant au prochain exercice budgétaire de l’Union européenne, au moins 160 millions d’euros (contre 90 millions actuellement) seront chaque année attribués pour aider des agriculteurs à se convertir à la bio (ce qui prend entre deux et trois ans) et leur permettre de se maintenir dans cette filière. Le crédit d’impôt « agriculture biologique », bien adapté aux petites structures, est reconduit, et le fonds « Avenir bio », consacré à des initiatives de développement de la filière, passe de 3 à 4 millions d’euros de dotation annuelle.
Autant de bonnes nouvelles, mais seulement partielles. « En effet, la marge de manœuvre française en matière de bio est étroitement tributaire de la réforme de la Politique agricole commune [PAC] des Vingt-Sept pour 2014-2020 », souligne Laurent Moinet, spécialiste du dossier à la Fnab. Après de longs mois de négociation, un compromis devrait intervenir d’ici à la fin juin. La révision du régime des subventions est au cœur des discussions. Point clé : l’abandon du mode de calcul, qui favorise depuis des lustres les forts rendements à l’hectare et donc la production intensive. Exemple : les producteurs de lait en système intensif, les mieux dotés, peuvent aujourd’hui percevoir de la PAC jusqu’à 500 euros par hectare, contre 100 euros d’aide dans le cas d’une conversion en bio [^3], qui induirait par ailleurs une baisse de la subvention européenne de l’ordre de 50 %, ainsi que des investissements à réaliser sur l’exploitation. « Tout calculé, il est financièrement loin d’être déterminant pour un agriculteur de passer en bio plutôt que de perdurer en conventionnel, analyse Laurent Moinet. Avec le système actuel, il est même parfois plus attractif d’adopter des pratiques simplement “raisonnées” [^4] que de basculer en bio. Au bout du compte, nous ne demandons pas un surcroît de revenus pour nous, mais l’établissement, au sein du mécanisme d’aide, d’un différentiel incitant clairement au passage à la bio. » Stéphane Le Foll est donc attendu avec vigilance au virage européen : sous la pression des grands exploitants, il apparaît cependant tenté de soutenir la voie lente pour la réforme des subventions PAC, qui ne pourrait devenir totalement effective qu’après 2019… Le développement de la bio française s’en verrait ralenti d’autant. Dès lors, on voit mal quelle compensation nationale pourrait activer le ministre, qui mettait en garde : « Les budgets ne sont pas extensibles, il faudra être inventif… » Les professionnels liront également la vérité budgétaire dans le résultat de batailles moins médiatiques mais tout aussi déterminantes : quels montants pour l’indispensable accompagnement des agriculteurs en conversion ? Alors que la bio bénéficie actuellement de moins de 1 % des 110 millions d’euros du fonds de développement rural (programme Casdar), certains à la Fnab estiment que sa part devrait bondir à 20 %, en rapport logique avec les objectifs à atteindre [^5]. « Or, à ce jour, aucun arbitrage n’a encore été engagé sur ce budget », relève Stéphanie Pageot, présidente de la Fnab.
[^3]: Abandon du maïs ensilage pour l’alimentation des animaux, au profit de l’herbe, par exemple.
[^4]: Démarche volontaire d’adoption de quelques principes moins polluants que l’agriculture industrielle.
[^5]: L’agriculture biologique induirait une amélioration perceptible de l’environnement à partir de 20 % d’occupation des sols, selon plusieurs études.