Une spécificité à préserver

Jean-Philippe Milesy* analyse le projet de loi de Benoît Hamon sur l’ESS.

Jean-Philippe Milesy  • 6 juin 2013 abonné·es

Le texte du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire (ESS), qui devrait être présenté au Conseil des ministres en juin et discuté au Parlement en septembre, présente de réelles avancées comparé aux versions précédentes. Il témoigne de la concertation engagée avec les acteurs de l’ESS. La reconnaissance des chambres régionales de l’ESS et de leur Conseil national, l’inscription des dispositifs de développement territorial, une définition de la subvention telle que demandée par le Conseil économique, social et environnemental représentent des améliorations. De plus, on ne peut que se féliciter des nouveaux outils pour le développement des Scop, notamment dans les cas de reprise d’entreprise en difficulté.

Hélas, une ouverture semble être accordée à des sociétés commerciales ordinaires, hors statut coopératif, mutualiste ou associatif. Or, permettre à des SA ou à des SARL de se revendiquer de l’ESS au seul motif de leur référence à l’utilité sociale et à une lucrativité limitée ouvre la voie à toute structure désireuse de profiter à bon compte de l’image de l’ESS et des dispositifs publics en sa faveur. À l’heure où Danone se présente comme acteur de la santé, et la Lyonnaise des eaux de l’hygiène publique, à l’heure où se développent des notions comme « l’entrepreneuriat social », bien des sociétés financiarisées pourraient revendiquer leur agrément. Car les textes sur la lucrativité limitée manquent de clarté. Plus fondamentalement, la question est celle de la place de la démocratie dans la gestion de ces structures [^2] : la démocratie est l’essence de l’économie sociale, une économie collective et égalitaire. Nous pouvons comprendre les aspirations de jeunes créateurs d’entreprise pour des actions à dimension sociale, porteuses de sens, mais, dans la mesure où le projet de loi écarte, avec pertinence, les entreprises individuelles, qu’est-ce qui fait obstacle à leur constitution en sociétés coopératives ? Qu’est-ce qui les empêche de rompre avec un modèle capitaliste dont ils semblent vouloir s’écarter ? Les moyens affectés à l’ESS sont hors de proportion avec son poids économique et son utilité sociale, non présumée celle-là mais avérée. Pour prendre le cas de la BPI, 1 % de ses crédits potentiels est dirigé vers une ESS qui représente 10 % du PIB. Pourquoi une part de ces moyens pourrait-elle être affectée à des entrepreneurs qui refusent de s’engager selon ses valeurs ?

[^2]: Lire la chronique de François Longérinas, parue sur le site Bastamag, www.bastamag.net/article3093.html

Économie
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

George Monbiot : « Après l’hégémonie culturelle néolibérale, nous risquons celle du fascisme »
Entretien 26 mars 2025 abonné·es

George Monbiot : « Après l’hégémonie culturelle néolibérale, nous risquons celle du fascisme »

Journaliste, activiste écolo et enseignant à l’université d’Oxford, George Monbiot publie, avec le réalisateur de documentaires Peter Hutchison, un réquisitoire implacable sur l’hégémonie culturelle et l’organisation du capitalisme néolibéral.
Par Olivier Doubre
Taxer les riches : Les Écologistes gagnent une bataille contre le gouvernement
Récit 21 février 2025 abonné·es

Taxer les riches : Les Écologistes gagnent une bataille contre le gouvernement

La proposition de loi imposant un impôt plancher sur le patrimoine des ultrariches a été adoptée en première lecture, lors de la journée d’initiative parlementaire des députés écologistes. Une victoire face à l’exécutif qui tente depuis des semaines d’amoindrir le périmètre de cette mesure de justice fiscale.
Par Lucas Sarafian
« Les multinationales ont phagocyté de nombreux espaces, du politique à l’intime »
La Midinale 19 février 2025

« Les multinationales ont phagocyté de nombreux espaces, du politique à l’intime »

Olivier Petitjean, cofondateur de l’Observatoire des multinationales, et Ivan du Roy, rédacteur en chef de Basta!, ont coordonné l’ouvrage « Multinationales, une histoire du monde contemporain » aux éditions La Découverte. Ils sont les invités de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?
Économie 4 décembre 2024 abonné·es

Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?

Au cœur de la détresse des exploitants : la rémunération globalement bien trop faible, en dépit de fortes disparités. La question, pourtant, peine à faire l’objet de véritables négociations et à émerger dans le débat public.
Par Vanina Delmas