Une spécificité à préserver
Jean-Philippe Milesy* analyse le projet de loi de Benoît Hamon sur l’ESS.
dans l’hebdo N° 1256 Acheter ce numéro
Le texte du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire (ESS), qui devrait être présenté au Conseil des ministres en juin et discuté au Parlement en septembre, présente de réelles avancées comparé aux versions précédentes. Il témoigne de la concertation engagée avec les acteurs de l’ESS. La reconnaissance des chambres régionales de l’ESS et de leur Conseil national, l’inscription des dispositifs de développement territorial, une définition de la subvention telle que demandée par le Conseil économique, social et environnemental représentent des améliorations. De plus, on ne peut que se féliciter des nouveaux outils pour le développement des Scop, notamment dans les cas de reprise d’entreprise en difficulté.
Hélas, une ouverture semble être accordée à des sociétés commerciales ordinaires, hors statut coopératif, mutualiste ou associatif. Or, permettre à des SA ou à des SARL de se revendiquer de l’ESS au seul motif de leur référence à l’utilité sociale et à une lucrativité limitée ouvre la voie à toute structure désireuse de profiter à bon compte de l’image de l’ESS et des dispositifs publics en sa faveur. À l’heure où Danone se présente comme acteur de la santé, et la Lyonnaise des eaux de l’hygiène publique, à l’heure où se développent des notions comme « l’entrepreneuriat social », bien des sociétés financiarisées pourraient revendiquer leur agrément. Car les textes sur la lucrativité limitée manquent de clarté. Plus fondamentalement, la question est celle de la place de la démocratie dans la gestion de ces structures [^2] : la démocratie est l’essence de l’économie sociale, une économie collective et égalitaire. Nous pouvons comprendre les aspirations de jeunes créateurs d’entreprise pour des actions à dimension sociale, porteuses de sens, mais, dans la mesure où le projet de loi écarte, avec pertinence, les entreprises individuelles, qu’est-ce qui fait obstacle à leur constitution en sociétés coopératives ? Qu’est-ce qui les empêche de rompre avec un modèle capitaliste dont ils semblent vouloir s’écarter ? Les moyens affectés à l’ESS sont hors de proportion avec son poids économique et son utilité sociale, non présumée celle-là mais avérée. Pour prendre le cas de la BPI, 1 % de ses crédits potentiels est dirigé vers une ESS qui représente 10 % du PIB. Pourquoi une part de ces moyens pourrait-elle être affectée à des entrepreneurs qui refusent de s’engager selon ses valeurs ?
[^2]: Lire la chronique de François Longérinas, parue sur le site Bastamag, www.bastamag.net/article3093.html