Barroso, si détestable…

Les attaques de ministres et d’élus socialistes contre le président de la Commission européenne sont bien trop virulentes pour ne pas être suspectes. Décryptage.

Michel Soudais  • 4 juillet 2013 abonné·es

Haro sur le baudet. Depuis quelques semaines, José Manuel Barroso est une cible de choix dans les rangs du gouvernement. Après la législative partielle de Villeneuve-sur-Lot, Arnaud Montebourg l’accusait d’être «  le carburant du Front national [et] de Beppe Grillo », et le responsable de l’immobilisme et de la paralysie de l’Europe. Des propos partagés « sur le fond » par le gouvernement, a fait savoir Najat Vallaud-Belkacem. De fait, plusieurs ministres et responsables socialistes ont vivement répliqué à la critique violente que le président de la Commission européenne a faite de la volonté de la France d’exclure le secteur audiovisuel du mandat de négociations commerciales avec les États-Unis. «  Cela fait partie de ce programme antimondialisation que je considère comme totalement réactionnaire », avait-il déclaré dans un entretien à l’ International Herald Tribune, le 17 juin.

S’il a ainsi dégainé le premier, José Manuel Barroso en a rajouté. En réponse à Arnaud Montebourg, et tout en déclarant que ses propos avaient été mal interprétés, le président de l’exécutif européen a dénoncé « certains souverainistes de gauche » qui, sur les « réformes économiques, d’ouverture, de mondialisation », ou les institutions européennes, « ont exactement le même discours que l’extrême droite ». Ce qui n’est pas de nature à clore la polémique. Vendredi dernier, alors que François Hollande tentait de calmer jeu au sommet européen de Bruxelles, la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, estimait sur LCI que le président de la Commission européenne n’avait «  rien fait de son mandat ». Ce n’est pas la première fois que José Manuel Barroso est durement critiqué dans l’Hexagone. En 2005, des socialistes et des chiraquiens l’avaient accusé de favoriser le « non » au traité constitutionnel européen par ses déclarations intempestives vantant « le principe du pays d’origine », inscrit dans le projet de directive Bolkestein alors en débat. Jacques Chirac avait même fait pression sur France 2, avec succès, pour que sa participation à une grande émission politique en première partie de soirée soit annulée.

Les positions ultralibérales de l’ancien Premier ministre portugais sont connues depuis longtemps. Maoïste à 18 ans quand éclate la révolution des œillets en 1974, M. Barroso a fait toute sa carrière politique au sein du Parti social-démocrate, classé à droite. Premier ministre en mars 2002, il imprime un virage atlantiste : il annule la participation du Portugal au programme de construction de l’avion militaire européen, préférant opter pour son concurrent américain, et organise aux Açores un sommet des chefs de gouvernement favorables à la guerre en Irak (George W. Bush, Tony Blair, José Maria Aznar). C’est à cet engagement qu’il doit sa première nomination en 2004 à la tête de la Commission européenne. Il est alors soutenu par Londres, Madrid et tous les chefs de gouvernement pro-guerre. Mais, contrairement à ce qu’affirme ces jours-ci Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS en charge de l’Europe, M. Barroso n’a pas été « coopté par ses amis de droite au pouvoir en Europe ». À moins de considérer comme tels les Premiers ministres britannique et espagnol, Gordon Brown et José Luis Zapatero, qui ont soutenu sa reconduction pour un second mandat en 2009. De nombreux députés européens membres du groupe des socialistes européens ont voté par deux fois son investiture ou approuvé la composition de sa Commission, ainsi que son programme, résumé en 2004 par ce slogan : « Less regulation, better regulation [^2] ».

Les socialistes qui, à l’instar des députés Philip Cordery, Gwenegan Bui, Richard Ferrand, Arnaud Leroy [^3], rendent Barroso responsable de l’austérité en Europe, du « marasme économique dans lequel se débat la Grèce », de « la croyance absolue dans le tout-marché qui a laissé l’Europe sans défense dans la concurrence mondiale », de « la libéralisation des services publics » ou de « la transformation de la Commission européenne en garant de l’intérêt libéral plutôt que de l’intérêt général » le coiffent d’un chapeau un peu grand. Quand la France s’élève contre les recommandations de Bruxelles en matière de retraites, le président de la Commission n’a pas tort de rappeler que celles-ci découlent d’une législation européenne approuvée par la France et ses socialistes, notamment les paquets de règlements et directives appelés « six-pack » et « two-pack ». Mais nos socialistes, faute de pouvoir s’en prendre directement à Angela Merkel, inspiratrice en chef des politiques d’austérité, et encore moins critiquer une construction européenne qu’ils ont contribué à façonner en approuvant tous les traités, ont trouvé avec ce Barroso si détestable un parfait écran de fumée.

[^2]: « Moins réguler, mieux réguler. »

[^3]: « M. Barroso, vous n’êtes pas l’Europe ! », tribune publiée sur lemonde.fr, le 28 juin.

Politique
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