Colombie : nouvelle tentative pour en finir avec le conflit armé
Alors que les Farc et le gouvernement colombien négocient la paix, les affrontements armés persistent. Des discussions minées par 50 ans de conflit.
*« [C’est] un grand pas dans la recherche de la paix!» Le 17 juillet, le président colombien Juan Manuel Santos s’est voulu optimiste après qu’une trentaine de membres de l’ELN (Armée de libération nationale) ont annoncé qu’ils se rendaient au gouvernement. Cette reddition d’une unité de la seconde guérilla la plus importante du pays s’inscrit dans un long processus de négociation, entamé en novembre 2012 à La Havane. Les Forces armées révolutionnaires de Colombie et les autorités politiques espèrent mettre un terme au conflit armé qui gangrène la Colombie depuis près de 50 ans. Selon les chiffres officiels, cette guerre qui ne dit pas son nom a déjà occasionné 600 000 victimes, 15 000 disparus, et 4 millions de déplacés.
Des négociations sous le feu des armes
Deux étapes majeures ont déjà été franchies ces derniers mois dans ce dialogue entre les deux forces rivales. Mercredi 10 juillet, le conseil d’État a autorisé l’Union patriotique, vitrine institutionnelle des Farc, à revenir sur la scène politique. Le parti avait disparu en 2002, après 17 années d’existence.
Deux mois auparavant, le 26 mai, les négociations ont abouti à un accord partiel sur une réforme agraire, les inégalités sociales liées à la répartition des terres étant au centre du conflit qui s’est engagé dans les années 1960.
Mais les pourparlers restent héritiers d’un sanglant passé. Le cessez-le-feu des Farc, unilatéral, accompagnant le début des négociations, n’aura duré que deux mois. Les opérations armées encadrant la recherche de la paix ne se comptent plus. À titre d’exemple, et non des moindres, 19 soldats ont été tués par des guérilleros lors d’une embuscade le 20 juillet dernier, tandis qu’une dizaine de rebelles furent capturés. Et les tensions qui minent le pays n’épargnent pas la population. 4 personnes participant à un mouvement social paysan, débuté en juin dans le Catatumbo, ont été victimes des forces de l’ordre. Les autorités politiques, craignant une influence de ces émeutes sur le cours des négociations, ont légitimé cette répression au nom d’une hypothétique collusion des manifestants avec les Farc. Celles-ci ont d’ailleurs fini par proposer, le 22 juillet, une aide armée aux agriculteurs dissidents.
La détente engagée par le gouvernement avec les guérilleros annonce-t-elle l’avènement de la paix dans ce pays meurtri? Ou bien n’est-ce qu’un nouvel essai infructueux?
Une rupture dans la politique gouvernementale.
Après trois tentatives de sortie de crise avortées en 50 ans de conflit, le président Santos a tendu la main aux guérilleros, le 27 août 2012, en envisageant une paix négociée. Une rupture profonde avec la politique de force de son prédécesseur, Álvaro Uribe (2002-2010). L’ancien chef de l’exécutif avait mis en place une stratégie «sécuritaire » face aux ennemis de l’intérieur, suite à l’échec des négociations (1999-2002) menées sous le président Pastrana. À l’ordre du jour, l’éradication des cultures illicites, la modernisation des forces armées, et le contrôle du territoire par l’État. Désavouant l’attitude conciliatrice de son successeur, Uribe n’a pas manqué de qualifier l’accord agraire de «récompense pour les terroristes » .
Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS sur les questions ibériques, voit surtout dans ce revirement de politique gouvernementale la volonté de sortir de l’isolement diplomatique dont souffre le pays. « Uribe estimait que la Colombie n’avait rien à dire à des gouvernements qui avaient des silences complices avec les groupes armés. Le risque était de rentrer dans une politique de tensions de plus en plus fortes avec le voisin vénézuélien et équatorien » , estime l’universitaire, contacté par téléphone.
« Les Farc n’ont pas été définitivement vaincues »
Cependant, la politique d’Uribe a porté ses fruits. Plusieurs axes de communication sont tombés sous le contrôle du gouvernement, et on constate une diminution des enlèvements et des actes de sabotage de la part des Farc sous sa présidence. Sans compter que des interventions armées spectaculaires contribuent à l’efficacité de la stratégie de l’ancien chef d’État. La plus connue reste l’opération Jacque, du 2 juillet 2008, libérant 15 otages dont Ingrid Betancourt. 4 mois plus tôt, Raúl Reyes, numéro 2 de la guérilla, perdait la vie dans le bombardement de son campement, situé en territoire équatorien. Les Farc ont aussi été lourdement affectées par la disparition de Manuel Marulanda. Le leader des premières heures du mouvement mourrait de sa belle mort en mars 2008.
- Négociations de paix sur fond de violence en 2013 :
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Sélection d’attaques armées et concessions encadrant les pourparlersVoir la carte en plein écran
La tentation fut grande de miser sur le crépuscule de l’aventure révolutionnaire ; « l’heure est à la fin des Farc » assurait le commandant en chef de l’armée, le 4 juillet 2008. Une interprétation prématurée, car si on note un large recul de la guérilla – de 17 000 membres au début des années 2000, on en compte 8 000 à la fin de la décennie-, les guérilleros restent implantés dans les campagnes et notamment près des frontières.
Les attaques massives sont délaissées au profit des embuscades, des explosifs et des mines antipersonnelles. Sans compter qu’une guerre de l’ombre exige elle aussi un fort investissement économique de la part du pouvoir en place. Avec davantage de recul, en juillet 2009, le ministère colombien de la défense a déclaré que bien qu’elles se trouvent « au pire moment de leur histoire, les Farc n’ont pas été définitivement vaincues. »
Pour Jean-Jacques Kourliandsky, les discussions en cours sont l’aboutissement d’une prise de conscience dans les deux camps ennemis que « le statu quo peut durer des années ». La main tendue du gouvernement «n’est pas un objectif de propagande comme le faisaient les présidents antérieurs. Ces négociations ne sont pas liées de façon évidente aux processus électoraux » . Car bien qu’une élection présidentielle doit se tenir en 2014, les médias ne sont pas admis à la table des discussions. Mais pour le chercheur, c’est l’absence de cessez-le-feu qui marque le plus la singularité des négociations, marquant « la prise en compte de la réalité [de la situation]. On ne crée pas une fiction pour l’opinion ! La guerre s’arrêtera avec un accord définitif.»
Les atteintes aux droits humains
La politique de la force a un prix. Elle s’accompagne, au moins jusqu’en 2008, d’une recrudescence des violations commises à l’encontre des droits de l’homme par les forces de l’ordre. Se multiplient détentions arbitraires et disparitions forcées. En parallèle, la criminalité non politique augmente dans les milieux urbains.
La situation chaotique du pays ne favorise pas l’établissement de statistiques. Cependant, dans un rapport émis en 2009, le réseau d’ONG « Coordination Colombie- Europe- Etats-Unis » a réalisé un bilan des exécutions extrajudiciaires commises – en dehors des combats- par les forces publiques, sur une période de 10 ans. Entre janvier 2007 et juin 2008, 535 personnes ont été victimes de ces assassinats, soit une personne par jour. Un taux deux fois plus important qu’entre 2002 et 2007, et trois fois supérieur à celui de la période 1997-2002.
Mais il serait réducteur d’attribuer au seul gouvernement Uribe la responsabilité de la multiplication des exactions « étatiques ». En effet, le 17 juillet dernier, soit une semaine après sa réapparition sur la scène politique, l’Union patriotique a réclamé la reconnaissance du génocide dont elle fut victime. Issu des premières négociations entre le gouvernement et les Farc (1982-1985), 3 000 à 5 000 des membres du parti naissant furent assassinés. Essentiellement l’œuvre de groupes paramilitaires, étroitement associés au pouvoir. Parmi les victimes, on compte des députés, des maires, des représentants des pouvoirs locaux, ainsi que deux candidats à l’élection présidentielle. Jaime Pardo Leal, qui s’était hissé en troisième position aux élections de 1986, fut exécuté en 1987.
De leur côté, les Farc « refusent de reconnaître leur responsabilité dans les atrocités commises ces trente dernières années ». C’est ce qu’a affirmé en juin sur TV5 Monde, Daniel Pécaut, directeur d’études à l’EHESS et spécialiste dela Colombie, avant d’attribuer les « 2/3 des massacres collectifs [perpétrés] aux paramilitaires, à la police et à l’armée ».
On ne peut que se satisfaire du renouvellement par l’exécutif colombien, le 18 juillet dernier, du mandat de l’ONU pour le respect des droits humains. Le président Santos est revenu sur ses propos exprimés quelques jours plus tôt, déclarant que la Colombie avait ces dernières années « suffisamment avancé » en matière de droits de l’homme. De même que pour la recherche de la paix, dans un pays en guerre depuis plus de 50 ans, il ne faudrait pas crier trop vite victoire. Pour Jean-Jacques Kouliandsky, «l’enjeu principal [de ces négociations] sera le respect effectif des accords [qui vont être conclus]. »
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