L’écologie, parent pauvre du gouvernement
L’éviction expresse de la ministre Delphine Batho est un coup de plus porté par le gouvernement aux illusions des écologistes, qui doivent tirer cet été le bilan de leur présence au gouvernement.
dans l’hebdo N° 1261 Acheter ce numéro
Elle avait promis de « dire la vérité ». Delphine Batho a tenu parole, ne ménageant ni François Hollande ni Jean-Marc Ayrault. Jeudi 4 juillet, deux jours après avoir été brutalement débarquée de son poste de ministre de l’Écologie pour avoir qualifié le budget 2014 de « mauvais » – la dotation de son portefeuille recule de 7 % –, elle a esquissé un procès en dérive de la méthode gouvernementale ^2. L’ex-ministre s’est dite choquée par une « réaction disproportionnée », alors qu’elle « imaginait provoquer une discussion » – « la collégialité au gouvernement, c’est fini ! » –, quand d’autres avant elle, comme Arnaud Montebourg, ont étalé des divergences fortes avec la ligne gouvernementale sans subir de sanction.
Ses critiques sur le fond sont encore plus désabusées. Elle aurait été lâchée sous la pression de « certaines puissances économiques », en particulier dans le milieu de l’énergie. Delphine Batho désigne nommément Vallourec, fabricant de tuyaux concerné par l’exploitation du gaz de schiste. En mai dernier, son PDG, Philippe Crouzet (dont la femme, Sylvie Hubac est directrice de cabinet de François Hollande), avait qualifié la ministre de « vrai désastre » devant des cadres du groupe, ajoutant que le problème était en passe d’être réglé, celle-ci n’étant plus guère en cour. Plus lourd, l’ex-ministre, à l’unisson des voix les plus sévères de gauche, a dénoncé « l’austérité, le tournant de la rigueur qui ne dit pas son nom et qui prépare la marche au pouvoir de l’extrême droite. […] Ce que je n’accepte pas, c’est l’abandon, le fatalisme, le renoncement à l’espoir du 6 mai. » Le couple exécutif s’est évertué à minimiser la sanction, « inévitable » en raison d’un « manque de solidarité » sur l’exercice clé de l’élaboration du budget. La version hollandienne de la « jurisprudence Chevènement » : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. » Delphine Batho a eu beau souligner que plusieurs ministres pensaient comme elle, elle n’a guère comptabilisé plus de réconfort public au PS que chez ses amis de militance issus de SOS Racisme (Malek Boutih) et de la Gauche socialiste (Julien Dray). Les protestations les plus outrées sont venues des ténors d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Pascal Durand, secrétaire national, a déploré que le ministère de l’Écologie soit « une variable d’ajustement. C’est un très mauvais signal. La symbolique et le message sont ravageurs. C’est incompréhensible ». Car, pour EELV, pas de doutes, c’est bien l’écologie qui est visée in fine par cette éviction. Et même si Delphine Batho était critiquée pour son inexpérience, notamment par le milieu associatif, les écologistes ne manquent pas de relever que le ministère est le seul qui compte déjà trois titulaires en un an à peine ! « Et il ne s’agit pas d’une question de personnalité, réfute le député EELV Sergio Coronado. Nicole Bricq, qui la précédait, était tout en contraste avec Delphine Batho – influente au sein du PS, maîtrisant les rouages du Parlement, rompue aux exercices financiers… À peine s’était-elle prononcée contre les forages pétroliers au large de la Guyane, en juin 2012, qu’elle a sauté ! » Maladroite, Delphine Batho, d’avoir protesté avant de tenter de peser sur des arbitrages pour limiter la casse budgétaire (voir p. 9) ? « Au contraire, elle a peut-être crié trop tard, rétorque Sergio Coronado. Depuis des années, le titulaire de l’écologie rame pour faire valoir sa position et défendre son budget. »
Les industriels mis en cause par Delphine Batho se sont drapés dans leur dignité offusquée. Chez Vallourec, on dément avoir demandé la tête de la ministre. Christophe de Margerie, PDG de Total, a jugé « déplacé » de mettre en cause des lobbies, d’autant plus qu’ils seraient « inexistants ». Mythomane Delphine Batho ? Sergio Coronado rappelle que Chantal Jouanno dénonçait les pressions du Medef, et Nathalie Kosciusko-Morizet l’immixtion de Monsanto dans le moratoire sur la culture du maïs OGM. Sans oublier le coup de fil d’Areva aux socialistes, lors des négociations de l’accord électoral avec EELV, fin 2011, pour obtenir qu’ils reviennent sur l’abandon de la filière nucléaire Mox. « Les relations incestueuses de l’industrie avec l’État ne datent pas d’aujourd’hui. La vérité, c’est qu’il existe des résistances colossales au changement de modèle de développement, et que Delphine Batho menait avec une conviction croissante la bataille de la transition énergétique [^3]. » Fallait-il sortir du gouvernement après cette énième déconvenue ? Des voix écologistes, plus résolues que de coutume, se sont élevées dans ce sens, telle celle du député européen Yves Cochet : « La coupe est pleine… »
Ce n’est pas la décision prise par l’état-major EELV. De fait, le limogeage de Delphine Batho, réprouvé par une majorité de Français selon deux sondages (Harris et BVA), sert les intérêts des écologistes, qui y voient une belle opportunité de faire pression sur l’exécutif alors que la discussion sur le budget 2014 vient seulement de débuter. Jean-Vincent Placé se réjouit ainsi d’avoir à porter « le testament politique » de Delphine Batho. Défendant sa dotation, l’ex-ministre avait décliné ses trois priorités budgétaires. Tout d’abord les « investissements d’avenir » dont le Premier ministre devait dévoiler la liste mardi 9 juillet. « Rien n’avait été prévu pour l’écologie ! », s’est-elle élevée. Jean-Vincent Placé, numéro deux d’EELV, se montre moins alarmiste qu’elle sur ce point, convaincu que « plusieurs milliards d’euros devraient être affectés aux énergies renouvelables ». Les deux autres chantiers où Delphine Batho s’est perçue battue sont plus incertains : le maintien du budget de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ainsi que la montée en puissance d’une fiscalité écologique. Mal lotis lors du premier exercice budgétaire de Jean-Marc Ayrault, les écologistes s’étaient fait promettre des compensations pour 2014. Alors que la popularité de l’exécutif reste très basse, ils entendent mettre à profit l’une des rares occasions qui leur reste, avant le marchandage des municipales de l’an prochain, de tirer quelques satisfactions d’une alliance gouvernementale parvenue pour eux aux limites de l’acceptable.
[^3]: Le débat national sur la transition énergétique s’achève dans quelques jours, et il doit inspirer une loi-cadre dès l’automne.